Comme Proust, Gide ou Paulhan, entre autres, qui furent de ses amis et figurent parmi ses correspondants d'envergure, François Mauriac fut un épistolier prolifique. On peine même à imaginer, à l'ère d'Internet et des SMS, combien ces gens pouvaient écrire et s'envoyer chaque jour de lettres ! Des documents littéraires devenus aujourd'hui obsolètes, tout comme les manuscrits, ou presque. Et c'est fort dommage car, qu'il le veuille ou non, la correspondance d'un grand écrivain, une fois publiée, fait partie intégrante de son oeuvre. Même si l'éditrice et préfacière du présent recueil, Caroline Mauriac, feint de croire son roué de beau-père lorsqu'il prétend que ses missives n'étaient en aucun cas prévues pour être un jour divulguées...
Cette Correspondance intime - qui court de 1898, avec un billet adressé par le jeune François, 13ans à l'époque, à sa soeur aînée Germaine, sa première lettre connue (et inédite), jusqu'à une ultime missive dictée durant l'été 1970, quelques semaines avant sa mort - reprend les deux volumes intitulés Lettres d'une vie, parus chez Grasset en 1981 et 1989, mais augmentés d'une centaine d'inédites, considérées, selon l'éditeur, comme trop "sulfureuses" pour être publiées à l'époque. Ce qui, à la lecture, paraît un peu exagéré.
Certes, on connaît maintenant, depuis la décapante Biographie intime de Mauriac par Jean-Luc Barré (deux volumes parus chez Fayard en 2009 et 2010), ces "abîmes de tendresse" où se débattit toute sa vie l'homme de chair. Et Bernard Barbey, qui fut peut-être le grand amour de sa vie, figure ici en bonne place, avec vingt lettres. Mais cette Correspondance, au final, représente plutôt une espèce de "digest" de la vie et de l'oeuvre mauriaciennes, avec ses grands moments - la guerre de 39-45, par exemple, durant laquelle Mauriac-Forez eut une conduite et un engagement impeccables, ou la politique et le journalisme -, ses thèmes et ses obsessions. Comme sa foi catholique. A Noël 1962, on le lit encore ferraillant avec Paulhan à propos du Christ ! "Ce Jésus - comment peut-il nous séparer ?" écrit-il, dans une belle lettre inédite. Un document majeur, tout comme celle du 13 avril 1961 adressée à Jean-Jacques Servan-Schreiber, où Mauriac démissionne de L'Express à la suite d'un article jugé par lui insultant pour le général de Gaulle, son idole, qu'il encensera désormais dans les colonnes du Figaro !
Déjà passionnant par lui-même, ce "Bouquin" constitue de fait une invite à relire Mauriac, en priorité ses écrits les plus personnels - et c'est le plus beau compliment qu'on puisse adresser à semblable entreprise.