Avant-critique Histoire

Mary Haverstick, "L'Inconnue de Dallas. Une espionne au cœur de l’assassinat de JFK" (Seuil)

Le Seuil

Mary Haverstick, "L'Inconnue de Dallas. Une espionne au cœur de l’assassinat de JFK" (Seuil)

En enquêtant sur une femme pilote de chasse, la réalisatrice Mary Haverstick se retrouve projetée dans l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Troublant. 

Par Laurent Lemire
Créé le 13.11.2023 à 14h32 ,
Mis à jour le 15.11.2023 à 12h24

Drôle de dame. « Donc vous n’avez pas pris une de ces caméras – et vous n’êtes pas allée sur Dealey Plaza filmer le président ? ». La question est posée avec le double sens du verbe to shoot, prendre en photo ou tirer sur quelqu’un. Bien sûr, l’intéressée ne répond pas. On n’en dit jamais trop, quand on est une espionne. Et pourtant Mary Haverstick la connaît depuis des années. La cinéaste américaine voulait à l’origine consacrer un documentaire à cette pionnière de l’aviation nommée Jerrie Cobb. Elle avait fait partie du groupe de femmes Mercury 13 qui avait passé dans les années 1960 les mêmes tests physiologiques que les astronautes masculins du Mercury Seven. La seule différence est qu’elles n’ont jamais été envoyées dans l’espace. Bien pire, elles ont été pour la plupart tout simplement oubliées. Mais pas pour tout le monde. Quand elle commence son enquête sur Jerrie Cobb un agent du gouvernement tente de la dissuader de poursuivre ses investigations. L’aviatrice en question aurait appartenu à la CIA. Bien plus, son nom aurait été usurpé. Et de fil en aiguille, ou plutôt de faux papier en vrais indices, la piste conduit à Dealey Plaza, à Dallas, le 22 novembre 1963. « Il y avait tellement de contradictions entre la personne que Jerrie disait être et celle qu’elle était réellement qu’il était difficile de réconcilier sa légende avec la femme que j’avais appris à connaître. »

La filature de Mary Haverstick est troublante. Elle est constituée d’histoires qui s’emboîtent les unes dans les autres, mais qui finissent par rendre l’ensemble un peu opaque à force de dissimulation et de mensonges. L’auteure ne ménage pourtant pas sa peine pour démêler le vrai du faux au long des multiples entretiens qu’elle a avec cette femme fascinante. En ayant accès à des dossiers déclassés qui ne mentionnent jamais la double personnalité de Jerrie, elle met en lumière un groupe d’espionnes tout aussi effacé que celui des aviatrices, un groupe qui eut une importance réelle au sein de l’agence, du moins pour ce que l’on sait de cette « liste de coïncidences étonnantes ». L’Inconnue de Dallas paraît conjointement en France et aux États-Unis pour la commémoration des soixante ans de l’assassinat du 35ᵉ président des États-Unis. Difficile de dire si cette nouvelle piste est en mesure de bouleverser les hypothèses – elles sont nombreuses – qui ont été émises sur cette journée tragique. Pour les autorités officielles, Lee Harvey Oswald aurait agi seul, mais selon l’expertise de la Chambre des représentants il y aurait eu d’autres tireurs. En tout cas, la personnalité de Jerrie Cobb est surprenante, fantasque et romanesque à souhait, tout comme son parcours dans les jungles d’Amérique du Sud qui lui valut d’être nominée pour le prix Nobel de la paix ou dans la Cuba de Castro. On laissera aux lecteurs le soin de découvrir cet écheveau d’intrigues qui mène à Dallas. Mais quoi qu’il en soit, cette drôle de dame méritait bien d’être révélée avec autant de maestria et de sens du rebondissement.

L’Inconnue de Dallas. Une espionne au cœur de l’assassinat de JFK de Mary Haverstick, Traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry et Christophe Jaquet, Seuil, 530 p., 21 €. En librairie le 17 novembre.

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