Entretien

Marion Mazauric (Au Diable Vauvert) : « Le cycle de Syffe est un roman pour les rassembler tous »

Marion Mazauric, fondatrice des éditions Au Diable Vauvert - Photo Luc Jennepin

Marion Mazauric (Au Diable Vauvert) : « Le cycle de Syffe est un roman pour les rassembler tous »

Les éditions Au Diable Vauvert ont publié le 2 mai La maison des veilleurs, 4e opus du cycle de Syffe de Patrick K. Dewdney. Saluée par le public et multirécompensée, la série cumule 75 000 exemplaires vendus en grand format et poche pour ses trois premiers tomes. Le 4e opus, tiré à 8 500 exemplaires, atteint « de nouveaux sommets » en termes d’écriture et d’ambition, assure Marion Mazauric, l’enthousiaste patronne du Diable.

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Par Charles Knappek
Créé le 03.05.2024 à 16h30 ,
Mis à jour le 03.05.2024 à 21h20

Livres Hebdo : Depuis 2018 et la parution de L’enfant de poussière, premier tome du cycle de Syffe, Patrick K. Dewdney s’est imposé comme une figure majeure de fantasy française. Comment l’avez-vous découvert ?

Marion Mazauric : C’est à l’éditrice Hélène Ramdani que je dois d’avoir découvert Patrick. En 2015, elle m’a envoyé un mail dithyrambique de trois lignes avec en pièce-jointe le manuscrit de ce jeune auteur quasi inconnu qui avait déjà fait paraître un recueil de poésie et allait sortir alors un polar dans la collection « Territori » de La Manufacture des Livres. J’avais emmené le manuscrit à la foire de Londres où j’ai passé – ce qui n’avait aucun sens ! – l’essentiel de mon temps à plonger dans l’histoire de Syffe au lieu de profiter au maximum de la présence des éditeurs sur place. J’ai tout de suite été transportée par son univers et la qualité de son écriture ; pour moi il était du même niveau qu’un Ayerdahl ou qu’un Pierre Bordage. On sentait bien sûr l’influence très forte de Robin Hobb.

Le cycle de Syffe est d’une ambition folle puisque Patrick K. Dewdney vous a dit d’emblée qu’il prévoyait sept volumes...

Nous étions en mars/avril 2016 et il n’y avait qu’un tome de rédigé. Patrick m’explique alors que c’est le projet de sa vie et qu’il aura besoin de six ou sept tomes. J’étais enthousiaste, ravie de cette ambition et je lui ai tout de suite dit que je le suivais sur l’intégralité de la série. Il imaginait livrer un volume tous les deux ans, ce qui représentait donc une quinzaine d’années d’édition.

« L’imaginaire hybride la littérature générale »

La série rompt avec certains clichés de la fantasy...

Quand vous êtes une femme et que vous aimez la fantasy, vous êtes habituée à voir les femmes cantonnées dans des seconds rôles : elles sont victimes, dominées, décoratives, voire de simples objets sexuels... la fantasy se limite souvent à des questions bien/mal et à des histoires orientées qui n’ont rien à voir avec le réel. Le cycle de Syffe prend le contrepied de cette tendance et n’est pas sans rappeler le travail du grand historien Howard Zinn qui a raconté l’histoire de l’Amérique vue par les opprimés, les minorités et les classes populaires. C’est par ce biais que Patrick a bâti son univers. De plus chez lui, la magie et le merveilleux sont liés aux mystères de la nature et non à l’irrationnel.

Selon vous, le cycle de Syffe dépasse d’ailleurs le cercle des seuls amateurs de fantasy ?

On voit aujourd’hui comme l’imaginaire hybride la littérature générale. La particularité du cycle de Syffe, c’est que tout le monde peut le lire, y compris et peut-être même surtout les personnes qui n’ont jamais lu de fantasy. C’est un roman d’histoire médiévale qui se situe entre Dickens et Fernand Braudel. Pour paraphraser Tolkien, c’est « un roman pour les rassembler tous ».

Les deux premiers tomes étaient parus très vite, à quelques mois d’écart en 2018. Le troisième est arrivé en 2021 et maintenant le quatrième en 2024. Les lecteurs ont-ils montré des signes d’impatience ?

Quand on s’engage dans une série de six ou sept volumes, on sait qu’il y a toujours une déperdition des ventes à chaque nouvelle parution. On gagne surtout sa vie sur le premier, voire le deuxième tome et cela a tout de suite fait partie de notre réflexion avec la force de vente, les diffuseurs et les libraires amis comme L’Atalante ou Sauramps. Tous ont préconisé de ne pas laisser deux ans entre les deux premiers volumes. Nous avons donc décidé d’attendre que Patrick achève le deuxième pour publier les deux premiers à six mois d’intervalle. Résultat, tous ceux qui les ont lus sont accrocs et ont répondu présents quand Les chiens et la charrue a paru en 2021. On sent aussi un enthousiasme très fort pour ce sublime quatrième tome, La maison des veilleurs, que nous publions aujourd’hui.

« Nous voulons un éditeur qui s’engage sur la série »

Les versions poche parues en Folio SF et maintenant en Folio Fantasy ont aussi trouvé leur public. Pourquoi ne pas avoir repris les premiers tomes dans « Les poches du Diable », la collection de la maison ?

Nous n’avons lancé notre collection « Les poches du Diable » qu’en 2020, qui est aussi l’année de parution du premier tome L’enfant de poussière chez Folio SF. Évidemment tout cela s’était décidé en amont, dès la parution des grands formats en 2018. Il était important, à l’époque, d’annoncer la cession poche avant même la sortie du premier grand format. Nous appuyer sur un grand éditeur de poche capable de mener un travail de diffusion à une échelle industrielle nous a permis de créer l’événement et d’envoyer un signal fort à tous les libraires. De plus, je ne voulais pas hypothéquer le destin populaire de Syffe en poche aux résultats des « Poches du Diable » dont la mission première est de préserver notre fonds. Nous sommes une maison indépendante et nous n’avons pas les mêmes moyens que les majors en matière de marketing à grande échelle.

Comme son nom ne l’indique pas, Patrick K. Dewdney est français, quoique d’origine anglaise. Dans combien de pays avez-vous vendu les droits du cycle de Syffe ?

Nous avons vendu les droits en Italie pour les deux premiers tomes et nous espérons faire de même pour les suivants. Des discussions ont également lieu avec des éditeurs espagnols, allemands, et bien sûr en langue anglaise. Nous ne sommes pas pressés car nous voulons un éditeur qui s’engage sur la série.

Quand le cinquième tome devrait-il paraître ?

Sans doute en 2025 ou 2026. Patrick travaille et ne me dit rien de la direction que prend l’histoire. Je ne veux d’ailleurs rien savoir avant de recevoir les épreuves ! En revanche, je peux vous dire que nous préparons un beau-livre qui illustrera l’univers du cycle de Syffe. On y verra les animaux, les arbres, et il y aura des cartes. C’est un travail, une sorte de carnet de voyage, mené de concert entre Patrick et Fanny Étienne-Artur que nous publierons avant la fin de la série.

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