Les bibliothèques suscitent rarement des prises de parole politique. Dans un discours programme, Marine Le Pen en a parlé : "On privilégiera les bibliothèques aux terrains de foot, et les cours de maths aux cours de rap !" ( article dans Le Monde du 17 juin ). A l'heure où les bibliothécaires  sont réunis pour parler de la communication cette déclaration sonne comme une provocation ou une catastrophe. La bibliothèque n'est pas (en tous les cas pas seulement) ce que les professionnels en disent mais la manière dont cette élue aux ambitions présidentielles la décrit. Et le portrait est saisissant. La bibliothèque est associée positivement aux « cours de maths » et négativement aux « terrains de foot » et « aux cours de rap ».  Elle est clairement associée à une vision conservatrice de la culture. Elle n'aurait rien à voir avec les pratiques populaires sportives ou musicales. Les références en vigueur dans cet équipement relèveraient du « sérieux », de l'étude (l'évocation des cours de maths en atteste). L'ordre culturel apparaît comme un ordre social qui doit être conservé. Rien non plus à voir avec les références actuelles de la culture telle qu'elle s'écrit en ce moment. La bibliothèque serait le lieu de la conservation de la culture telle qu'elle se transmet des anciens vers les jeunes. Le corps, qui est en commun dans le foot et le rap n'a pas lieu d'être dans la bibliothèque qui, sans doute, doit prendre en charge l'esprit ou la raison du peuple. Bien sûr le portrait, surtout en creux, que Marine Le Pen fait de la bibliothèque ne correspond pas à la réalité des bibliothèques et les municipalités frontistes ont montré un visage bien sombre de cette institution. Mais hélas cette image est livrée à la population qui ne pourra pas nécessairement la démentir faute de la fréquenter massivement. Pourrait-elle tenir ce discours si une proportion élevée et largement diversifiée de la population investissait les bibliothèques et y était profondément attachée ? Peut-être aussi cette image est-elle née d'une sorte de vide laissé par les bibliothécaires qui ne parviennent pas (et ne cherchent pas assez) à construire un discours porteur et convaincant sur  la bibliothèque dans notre société d'aujourd'hui. Il convient donc non seulement de s'émouvoir de ce discours mais aussi de créer les conditions de son impossibilité. Le congrès sur la communication n'y suffira pas...
15.10 2013

Auteurs cités

Les dernières
actualités