L'ami prodigieux. La postérité, bien trop souvent, est mauvaise fille. Elle n'en fait souvent qu'à sa tête. Ainsi en va-t-il hélas de l'œuvre de Louis -Guilloux (1899-1980). L'homme du Sang noir, du Jeu de patience (prix Renaudot 1949), du Pain des rêves ou de Coco perdu ne recherchait pas la gloire, juste des lecteurs fidèles. La première fut éphémère, les seconds s'en sont allés. Fermez le ban ? Peut-être pas tout à fait grâce à Sylvie Le Bihan qui doit avoir quelque chose d'une salutaire redresseuse de torts et qui, avec L'ami Louis, pourrait, s'il y avait quelque justice, rendre tout son éclat à ce magnifique écrivain et à cet homme exemplaire, antifasciste et engagé socialement. Elle aurait pu pour cela s'en tenir à la seule promenade biographique. Non, si biographie il y a, c'est comme enchâssée dans un plus vaste projet romanesque. Précisons tout de suite que l'autrice relève ce défi singulièrement risqué avec succès et panache.
À la fin des années 1970, Elisabeth est une jeune française d'une trentaine d'années exilée à Londres où elle a intégré l'équipe d'organisation du Booker Prize. Son travail, qui consiste pour l'essentiel à boire des coups avec Anthony Burgess ou Barbara Pym, est loin d'être désagréable et lui laisse le temps de faire autre chose. En l'occurrence, repérée par Bernard Pivot, la voilà en charge de la préparation d'un « Apostrophes » consacré à la mémoire de Camus. René Char l'oriente alors vers Louis Guilloux, dont elle ne sait rien si ce n'est son compagnonnage avec l'auteur de L'étranger et dont elle va découvrir à la fois l'œuvre puissante et toute la forte humanité. Ce sera le début d'une belle histoire d'amitié sous les auspices de la Bretagne et de Saint-Brieuc que la jeune femme et le vieil homme ont en partage.
Sylvie Le Bihan fait dire à Guilloux, encourageant les ambitions littéraires de sa protégée : « Idéalement, il faudrait écrire comme on se parle à soi-même, comme on parle à son plus vieil ami, comme on lui écrirait, sans plus d'amour-propre qu'il n'en faut et sans trop d'ambition, sans chercher non plus à lui en faire accroire, et ne jamais céder qu'à l'envie. » C'est exactement ainsi que l'autrice de L'ami Louis mène son affaire romanesque, traversant un demi-siècle de vie littéraire ainsi que les tragédies de l'Histoire. Cet exercice de sobriété force l'admiration.
L'ami Louis
Denoël
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 22 € ; 420 p.
ISBN: 9782207178058