« Comme nombre d’entre vous, je suis confinée à domicile… sauf dérogations liées à mon activité professionnelle. Me voilà donc ce matin partie au bureau, munie de mon attestation, pour préparer la paye et la mise en paiement des factures fournisseurs, prestataires, etc. Notre expert-comptable m’a tenue informée des dispositions légales et j’ai demandé le chômage technique pour l’unique salarié de la maison (les autres intervenants sont des prestataires externes : maquettistes, expert-comptable, informaticien, coursier…).
Mon entreprise est une TPE de librairie et d’édition et j’en suis le couteau suisse : je donne un gros coup de main au commercial, je m’occupe de l’éditorial – en faisant parfois appel à des lecteurs externes – et d’une foultitude d’autres choses : contacts avec les imprimeurs, maquettistes et fournisseurs, coordination avec l’expert-comptable, fixation des objectifs, évolution de la stratégie, etc.
Au premier jour du confinement, j’ai laissé un message sur notre site Internet invitant les clients à prendre bien soin d’eux et de leurs proches et à nous contacter par mail au besoin. Sur la porte de notre espace librairie, j’ai collé un écriteau qui dit qu'on a fermé
« en application des consignes gouvernementales » et j’ai remercié nos clients pour leurs achats passés… et futurs.
Une semaine s’est écoulée depuis et l’ambiance du quartier a bien changé. Mon entreprise est située dans le passage du cinéma Les Sept Parnassiens, au cœur du Montparnasse des bistrots et des grandes brasseries. En temps normal, le cinéma est ouvert jusque tard dans la soirée et les spectateurs font la queue parfois jusqu’à notre vitrine : et même au-delà, puisque certains entrent nous acheter un livre en attendant ! Aujourd’hui, je ne croise plus, à près d’un mètre de
« distanciation sociale », que le gardien. Le cinéma est fermé et je n’entends que le bruit de mes pas.
Mondialisation à outrance
Hormis cette incursion au bureau, je travaille de chez moi : je relis et corrige des manuscrits et je réponds aux mails qui tombent sur la boîte de l’entreprise. Tiens justement, un auteur, dont le livre était programmé pour avril, me propose un « hang-out Google » avec lui et son assistante. Il se demande si son livre peut paraître quand même à la date prévue. Non. Ma réponse est nette mais je partage sa frustration. Nous avons tellement travaillé sur ce bouquin, rajoutant un paragraphe, une virgule, corrigeant une phrase
« pas assez claire ». Nous en étions au BAT quand le ciel nous est tombé sur la tête. Son livre qui s’intitule « 2034 » est prémonitoire : sous forme de roman futuriste, il évoque les risques de la mondialisation à outrance et certains de ses corolaires : la perte de la souveraineté nationale dans certains domaines essentiels comme la fabrication de médicaments, la disparition de gros pans de l’industrie désormais délocalisés dans des pays à main d’œuvre moins coûteuse.
Après avoir raccroché, je me suis dit que nos préoccupations étaient d’un autre temps, du temps où c’était
business as usual. Un temps qui me paraît si lointain, comme si nous avions franchi un siècle en l’espace de quelques jours ; un temps auquel nous nous raccrochons quand même
« quoi qu’il en coûte » car, oui, il faut que ça reparte un jour.
Déphasé
Tout me paraît déphasé. Anachronique aussi comme la Une de ce magazine sur la table du salon qui annonce la « Poursuite de la hausse des prix de l’immobilier à Paris ». Ce numéro date d’il y a tout juste une semaine maintenant et depuis, l’hebdomadaire nous a annoncé qu’il suspendait la parution du papier et passait au tout numérique : comme
Livres Hebdo. Et dans ce parking de supermarché où je lis « Si le parking rouge est complet, merci de remonter au parking jaune », je me dirige vers le parking rouge, on ne sait jamais. Nous sommes deux voitures à être garées là.
Non, je ne vous parlerai pas d’Amazon. »
Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à: confinement@livreshebdo.fr