« Je suis confinée en famille dans notre appartement parisien, dans le 11
e arrondissement, sur le boulevard Voltaire, désert. Comme tout le monde, on a réfléchi à partir, mais on avait peur de rester bloqués loin de chez nous (et de la librairie) si on partait et surtout, on n’avait pas de point de chute.
Il y a d’abord eu l’annonce, jeudi 12 au soir, de la fermeture des écoles. Le vendredi, il a fallu refaire tous les emplois du temps des salariés de la librairie pour libérer les parents.
Dernier raout avant la fin du monde
Le samedi, ça a été le dernier raout avant la fin du monde : la librairie n’a pas désempli, on a fait un chiffre d’affaires digne de Noël - sauf que là, les gens achetaient pour eux et ils cherchaient des valeurs sûres : on a pu faire du vrai conseil. Comme on n’avait pas fait de stocks particuliers, on a puisé dans le fonds. On a vendu Duras, Dumas,
Water Music de T.C. Boyle, Trevanian, des polars. En jeunesse, beaucoup de recueils, et de romans. On n’a pas vendu énormément de parascolaire, contrairement à d’autres librairies.
C’était une journée formidable, dramatiquement légère au vu des circonstances. Ça sentait inéluctablement la fin.
Dimanche, il faisait doux. Malgré les appels à la responsabilité, tout le monde se promenait. Je me suis dit que si on devait s’arrêter, ce serait très agréable.
Angoisse de manque
Et puis les rumeurs de confinement ont commencé à circuler, et j’ai ressenti une baisse de moral intense, la peur de l’ennui, une vague sensation d’angoisse et d’enfermement par anticipation.
Le lundi, une partie de l'équipe s’est retrouvée à la librairie pour ranger, sortir les poubelles, vider les frigos, mettre les retours en carton... On est tous repartis avec des valises (ça n'est pas une figure de style) de livres. On n’a pas fait de stocks irrationnels de pâtes ou de PQ ; notre angoisse de manque s’est portée sur les livres.
Je me suis dit que j’allais pouvoir réaliser une espèce de fantasme : avoir, pour la première fois depuis l’enfance, tout mon temps pour la lecture. En fait, ça ne se passe pas du tout comme ça. Il faut gérer les échéances, les salaires, les banques...
L’urgence, c’était la trésorerie
À partir de mardi, la profession s’est organisée. L’urgence, c’était la trésorerie. Il a fallu mettre en place les négociations avec les distributeurs. Ils ont tout de suite compris que s’ils n’agissaient pas très vite en faveur de la trésorerie des librairies, ils allaient laisser des libraires sur le carreau et que ça mettrait l'ensemble de la filière en difficulté durable. Beaucoup ont pris des initiatives responsables,
à commencer par Interforum puis Hachette. On sait qu’on ne peut pas attendre la même chose des petits/moyens diffuseurs-distributeurs comme Daudin ou Harmonia Mundi, eux-mêmes extrêmement fragiles.
Je suis au directoire du Syndicat de la librairie (SLF) ; avec les autres membres, on organise une réunion téléphonique chaque jour en début d’après-midi. On fait le point sur les avancées avec les fournisseurs, on liste les ressources possibles, on tente de nourrir les permanents du SLF de nos expériences.
Des chaînes de mails, des groupes Facebook, des groupes WhatsApp très dynamiques font remonter les craintes et les difficultés rencontrées sur le terrain. On s’épaule les uns les autres, on explique comment déclarer le chômage technique, comment utiliser au mieux les congés payés, on fait le point sur les négociations fournisseurs et sur les bons plans.
Concurrence déloyale
Bref : en milieu de semaine, la filière s’organisait de façon remarquable. Et puis Bruno Le Maire a allumé une mèche folle. Jeudi matin, sur France Inter, le ministre de l’Economie a dit qu’
il réfléchissait à une réouverture des librairies.
Aussitôt, on s'est échangé des centaines de mails : une levée de boucliers générale (disons à 99,9%!) des libraires. Nous demandions qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale des vendeurs en ligne, et donc que le livre ne soit pas considéré comme un produit de première nécessité. Nous ne demandions pas la réouverture de nos librairies. Nous ne voulons pas être des vecteurs de propagation du virus.
Une filière solidaire
Ce vendredi, la question semble évacuée mais cette phrase malheureuse de Bruno Le Maire m’inquiète pour la suite. Le gouvernement a-t-il voulu, en laissant miroiter une possible autorisation d’ouverture des librairies, nous sortir des dispositifs de chômage partiel et d’exonération de charges ?
Cela fait maintenant une semaine que j’attends mes identifiants pour finaliser l’inscription de mes salariés au chômage partiel. En attendant, je dois avancer les salaires sans nouvelle entrée d’argent.
Je me promène toute la journée avec mon livre à la main mais je n’ai pas la disponibilité d’esprit nécessaire pour lire vraiment. J’arrive à lire 5 pages tous les trois quarts d’heure mais c’est tout. Je fais l’école à la maison avec mes enfants de 6 et 10 ans, je reste accrochée aux réseaux sociaux et aux mails pour suivre l’évolution de la situation…
La seule chose qui m’apaise, c’est de réaliser combien notre filière est réactive et solidaire. »
Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à : confinement@livreshebdo.fr