Longtemps, elle s'est couchée - pas forcément de bonne heure - et elle a bien dormi. Mais depuis des années, le sommeil la fuit, à moins que ce ne soit l'inverse. Insomniaque, Marie Darrieussecq raconte dans Pas dormir, qu'elle présente comme « le résultat de vingt ans de voyage et de panique dans les livres et dans mes nuits », qu'elle l'est devenue en 2001 à la naissance de son fils, le premier de ses trois enfants. Pas une insomniaque occasionnelle ni une insomniaque qui jouit de ses réveils à 4 heures du matin mais une insomniaque à la recherche du sommeil perdu.
Ce livre est en partie là pour nous faire bénéficier de son expérience personnelle, forcément pleine de lectures, de balades nocturnes dans la littérature où les insomniaques sont légion. Et Marie Darrieussecq est en bonne compagnie : Kafka « le saint patron de l'insomnie », Cioran son « propriétaire », Proust son « champion »... Elle consigne en experte ses propres ruses, ses rituels, les solutions plus ou moins farfelues, diversement opérantes, de l'inoffensive tisane à la « gravity blanket », de « la boîte de Morphée » au « champ de fleurs »... « J'ai tout essayé. » Elle avoue avec autodérision et sincérité son incapacité à trouver le sommeil sans drogue. « Je ne sais pas faire sans les somnifères. » Le soutien aussi que lui a apporté un temps l'alcool, les trois ou quatre verres de vin rouge dont elle dépendait pour pouvoir affronter les fins de journée et bien sûr la nuit. « Lire ou marcher, les deux recours de l'insomnie. Ou boire, recours qui n'exclut pas les deux premiers. » Elle décrit le théâtre de l'insomnie, le lit, la chambre, la sienne, à part, qui est aussi son bureau dans l'appartement familial parisien, et toutes les chambres d'hôtels photographiées un peu partout où cette grande voyageuse n'a pas dormi.
Sommeil traumatisé
À quels monstres, fantômes et « hôtes non invités » cherche à échapper l'insomniaque ? Parmi les nombreuses images qui accompagnent ce livre, son ami le dessinateur Adão Iturrusgarai, dans son Portrait de l'autrice en insomniaque, la représente couchée sur le dos, les bras le long du corps, les deux yeux trempant dans un verre sur la table de chevet. « L'insomnie est une folie à deux : une tête coupée me regarde sur l'oreiller, et cette tête, c'est moi ».
Dédoublement et morcellement. Humour et angoisse traversent ce récit où elle tente d'approcher cette autre elle-même toujours en veille, en éveil, atteinte d'« hypervigilance » comme l'a conclu la « somnologue » qui l'a aidée. Mais il ne s'agit pas que d'un témoignage intime car pour l'écrivaine, le sommeil est social et politique autant qu'affaire privée. Ainsi au fur et à mesure que le livre avance, la méditation s'élargit, les murs de la chambre s'écartent, le lit devient plus grand. Marie Darrieussecq y accueille le monde, tout le monde, observe le sommeil traumatisé de ceux qui n'ont ni chambre, ni lit, et celui, confiant et plein de rêves, des animaux qu'elle chérit. Au fond, Pas dormir n'est peut-être pas qu'une condamnation à errer dans la nuit mais aussi bien une invitation à la vigilance, l'autre nom de l'attention.
Pas dormir
P.O.L
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 320 p.
ISBN: 9782818053645