On ne lit plus guère La vie des abeilles (1901) de Maurice Maeterlinck. L'écrivain belge, lui-même apiculteur, faisait un parallèle entre le comportement des hyménoptères et celui des humains. La Terre ne serait-elle pas une ruche géante ? Le propos de Marie-Claire Frédéric est tout autre. Il est même plus vaste car il dépasse la simple analogie : l'abeille, à travers le miel, aurait contribué à essaimer les civilisations. En effet, de récentes études laissent entendre que la substance sirupeuse et sucrée a constitué un aliment crucial pour l'évolution de l'espèce humaine, notamment par l'apport de glucides pour faire fonctionner un cerveau gourmand en énergie. Le miel aurait ainsi contribué au développement de l'Homme, sans le rendre mielleux.
Avec sa maîtrise du sujet et sa solide documentation, Marie-Claire Frédéric embarque ses lecteurs pour une enquête passionnante comme dans son excellent Ni cru ni cuit (Alma éditeur, 2014) sur les aliments fermentés. Le miel en est un, nous rappelle cette journaliste culinaire et historienne de l'alimentation. « Le miel est absolument unique parmi tous nos aliments : c'est une nourriture élaborée par un animal, et qui se trouve déjà toute prête à consommer. Il possède une autre singularité : c'est un ingrédient fermenté produit par un animal, le seul au monde. »
Mais le miel est bien plus que cela. Il est un composant du nectar et de l'ambroisie, la nourriture des dieux. L'abeille relève de la symbolique solaire, celle de la sagesse et de l'ordre. Sa remarquable organisation sociale vantée par Maeterlinck fut tellement efficace qu'on l'a longtemps attribuée à un roi avant de comprendre qu'il s'agissait d'une reine. Au XVIIe siècle, le philosophe Bernard Mandeville y avait puisé sa fameuse Fable des abeilles, satire politique dans laquelle il démontrait que le vice produisait involontairement de la vertu. Einstein lui aussi aurait utilisé l'image des abeilles − la citation est apocryphe - pour expliquer que, si elles disparaissaient, l'humanité s'effacerait à leur suite. D'autres insectes sont pollinisateurs, mais 84 % des plantes cultivées en Europe dépendent des abeilles. Ces sentinelles de l'environnement et de la diversité sont donc indispensables à la préservation de la nature.
Mais Marie-Claire Frédéric va bien au-delà de ce constat. « L'abeille accompagne l'Homme depuis la nuit des temps, bien avant le développement de l'agriculture. Les abeilles vivaient déjà dans les forêts du Paléolithique lorsque les chasseurs-cueilleurs les parcoururent. » Et de citer, notamment, l'usage de la cire perdue à l'âge du bronze. Le développement de l'apiculture a permis de découvrir les vertus curatives, cosmétiques et gastronomiques (elle donne quelques recettes) du miel qui nourrit aussi l'imaginaire et même la spiritualité.
Avec le miel, Marie-Claire Frédéric introduit un peu de douceur dans cette « autre histoire de l'humanité ». Contre l'amertume et le fiel, il faut compter avec ces apidés qui à leur manière prennent soin du monde.
Le miel, une autre histoire de l'humanité
Albin Michel
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 230 p.
ISBN: 9782226470492