De l’Europe aux Etats-Unis, de l’Afrique aux Antilles, Fabienne Kanor arpente le monde depuis quarante-quatre ans, interrogeant ses origines, cherchant sa place. Avant de poser ses valises à la Nouvelle-Orléans, une ville qu’en 2009 elle a immédiatement reconnue comme "point possible d’ancrage", elle a beaucoup voyagé en Afrique de l’Ouest (Bénin, Sénégal, Mali, Burkina Faso…), s’est installée pendant deux ans, au milieu des années 2000, en Martinique, d’où sont originaires ses parents. Par intermittence, elle repasse à Paris. Depuis plus de vingt ans, elle a ainsi régulièrement et toujours provisoirement posé ses valises dans des pays à la fois inconnus et familiers pour vivre, aimer et faire ce qu’elle place au-dessus de tout : écrire. Des livres et des films.
"Noire de France"
Du sud des Etats-Unis où elle a imaginé Je ne suis pas un homme qui pleure, son deuxième roman chez JC Lattès après quatre publiés dans la collection "Continents noirs" de Gallimard, elle dit : "Ce que j’aime, là-bas, c’est cette chaîne entre les cœurs des gens. Le fait qu’on n’est jamais seul, et aussi qu’on se coltine au quotidien l’histoire, celle en particulier des Noirs et des Blancs. Ce commerce-là avec l’histoire est fécond pour un écrivain." Car ce qui traverse son sixième roman doux-amer, sentimental, caustique et énervé, c’est plus frontalement que dans les titres précédents des questions intimes d’identité : qu’est-ce qu’être une femme noire, une Afro-Caribéenne, une "Noire de France", comme on la désigne parfois. "C’est un roman où je ne me planque pas derrière une cohorte de personnages, mais où j’ai choisi une héroïne proche de ce que je suis. Comme moi, elle est noire, d’origine antillaise et écrivaine mineure. "Mineure" dans le sens où elle ne vend pas de best-seller et appartient à ce que j’appelle "le gang des francophones". C’est là notre grand lien. Le reste, c’est autant de la parole que de l’écriture, comme si j’étais assise dans un wagon de métro et que je me mettais à raconter."
"City journaliste"
Se raconter des histoires, en inventer, elle a commencé enfant quand elle "jouait à la poupée sans poupée" avec ses deux sœurs, à Orléans, où elle a grandi. Elle a continué avec l’une d’elles, Véronique, sous la forme de documentaires qu’elles coréalisent. Le dernier, Un caillou et des hommes, tourné en Guadeloupe en 2014, est un film sur le crack, et les deux travaillent sur un projet de film de fiction. Ecrivaine, réalisatrice, ces deux casquettes ne font qu’une pour cette ancienne "city journaliste" (Nova, France 3, RFI, France 5) qui a besoin d’une "situation extrêmement réelle, voire d’actualité, pour que le désir d’écrire un roman prenne et tienne". Pour Faire l’aventure, paru l’année dernière, roman qui mettait en scène des migrants clandestins entre le Sénégal et la Sicile, elle a passé beaucoup de temps dans des centres de rétention, sur des lieux de départ de pirogues, des centres de rapatriement. "J’ai dû retravailler chaque histoire, vérifier les informations qu’on me donnait, réaliser et dépouiller des dizaines d’entretiens pour développer mon récit." Elle a mis cinq ans à l’écrire. Véronique Rossignol
Fabienne Kanor, Je ne suis pas un homme qui pleure, JC Lattès.
18 euros, 250 p. ISBN : 978-2-7096-4917-9. Sortie le 3 février.