C'est une année sous le signe du repli. Entre recul des ventes, mutations structurelles et tensions économiques, les acteurs du secteur ont l'obligation de s'interroger sur leur capacité à surmonter les défis actuels et à préparer l'avenir en déchiffrant les leviers de croissance, qui heureusement existent bien.
Le marché global du livre a enregistré une baisse de 3 % en volume par rapport à 2023, avec 340 millions de livres vendus, pour un chiffre d'affaires global de 4,3 milliards d'euros, en recul de 1 %, selon l'Institut NielsenIQ GFK. Parmi les indicateurs marquants de cette année écoulée, le nombre d'acheteurs, qui a également reculé, s'établissant à 23 millions, soit une perte de 2,6 millions d'acheteurs en un an, dont plus de la moitié sont des hommes de 15 à 49 ans (1,6 million).
Déficit d'acheteurs
Cette catégorie, déjà moins engagée dans l'achat de livres, s'éloigne encore davantage du marché. Leurs préférences, notamment pour les bandes dessinées et mangas, dont l'offre a été moins pertinente, restent néanmoins des leviers potentiels. Ce repli du nombre d'acheteurs s'observe sur presque tous les circuits de distribution, à l'exception des grandes surfaces spécialisées culturelles (GSS), qui ont su maintenir un certain dynamisme. Si les GSA (grandes surfaces alimentaires) poursuivent leur recul (moins 600 000 acheteurs en 2024), c'est la vente en ligne qui régresse fortement, dans le contexte de mise en application de la loi Darcos votée en 2021 sur les frais de port du livre. Pour cette première année d'analyse post-décret d'application, promulgué le 7 octobre 2023, GFK estime que ce circuit (click-and-collect compris) accuse un déficit de près de 2 millions d'acheteurs (1,9 million). Selon le cabinet, la déperdition de ces acheteurs en ligne ne s'est retrouvée que pour moitié (800 000 acheteurs) dans les autres circuits.
Prix moyen en hausse
Un autre indicateur particulier à cette année 2024 est l'augmentation du prix moyen du livre (+3 %), supérieure à celle de l'inflation, due à une hausse des coûts et à un effet de mix produit, avec la croissance des ventes de formats hybrides (beaux-livres, poche, par exemple). Mais également à l'impact sur le marché en 2023 des BD Astérix & Obélix, chez Hachette, et Gaston Lagaffe chez Média-Participations, qui se sont massivement vendues à des prix en dessous de ceux du marché.
L'analyse sectorielle révèle des disparités marquées avec la littérature générale portée par des sous-genres comme la romance et l'imaginaire qui reste dynamique. Le parascolaire connaît un rebond grâce aux stratégies de pont entre papier et numérique. À l'inverse, la bande dessinée, en particulier la BD jeunesse, subit une forte baisse (-15 % en volume), due à l'absence de renouvellement de séries phares.
La non-fiction, après une année 2023 portée par des ouvrages à forte notoriété (mémoires et récits de personnalités comme le prince Harry), est en recul, bien que certains segments, comme les essais politiques, se distinguent positivement. Et bien évidemment le rayon sport, année olympique en France oblige, qui a performé malgré un impact réel de la manifestation sur la saisonnalité des ventes. En 2024 en effet, les deux mois les moins prescripteurs de livres ont été janvier et juillet sur l'ensemble du territoire et en ligne.
Un marché numérique stagnant
Le livre numérique (hors audio), bien que stabilisé à 131 millions d'euros de chiffre d'affaires, soit 3 % de l'activité globale, n'a pas retrouvé la dynamique exceptionnelle observée lors des confinements de 2020, où il a pointé à 135 millions d'euros de chiffre d'affaires. Il reste cependant un vecteur d'avenir, particulièrement dans un contexte où l'écosystème digital devient de plus en plus central.
Sur le plan européen, la France ne fait pas figure d'exception mais reste une référence du secteur. La vente de livres en volume en France est égale à celles cumulées en Italie et en Grande-Bretagne, également en décroissance selon NielsenIQ GFK, qui analyse également les marchés de ces pays. La contraction des ventes de livres imprimés s'inscrit dans une tendance plus large, touchant également d'autres marchés comme l'Allemagne ou la Suisse romande bien que l'intensité varie selon les pays. Ce contexte continental souligne les fragilités communes face à des facteurs tels que l'inflation, les changements de comportements d'achat et la concurrence du numérique.
Investir dans la jeunesse
L'année 2024 a mis en lumière les fragilités du marché du livre chez nous, mais son analyse offre aussi aux acteurs la possibilité de se projeter dans un avenir certes incertain. Parmi les leviers possibles, l'accompagnement de la refonte des classifications thématiques, comme celle en cours sur la romance, qui pourront mieux répondre aux attentes des libraires et des lecteurs et valoriser certaines niches, comme la dark romance. Malgré une croisée des chemins pour le manga dont la vague s'épuise depuis plusieurs mois, investir dans de nouvelles séries grand public pourrait s'avérer être une voie.
Et enfin, investir dans la jeunesse. La reconquête des jeunes lecteurs doit être une priorité pour tous les acteurs de la chaîne du livre, au-delà des actions avec le Centre national du livre (CNL) et dans un contexte de baisse drastique des finances publiques. Le Pass culture, dispositif offrant encore à l'heure où s'écrivent ces lignes à chaque jeune de 18 ans 300 euros pour consommer des produits culturels, a généré en 2023 quelque 95 millions d'euros de ventes de livres, soit près de 2 % du marché global. Il devrait être réformé ces prochains mois, et pas forcément dans le sens souhaité par les acteurs du marché.