La lumière se fait progressivement en France sur l'homme Malaparte, longtemps dissimulé derrière son oeuvre romanesque. Après un recueil de ses écrits lors d'un reportage dans l'Ethiopie coloniale en janvier (1), c'est un essai inédit que propose La Table ronde. Inédit, il l'est tout autant par sa forme et sa genèse : Malaparte conçoit en 1931, alors qu'il est en exil à Paris, le projet d'une biographie de Mussolini. Il y travaille deux ans, jusqu'à son incarcération en Italie. Ce n'est qu'à partir de 1943, date de la chute du régime, qu'il reprendra le texte, pour le retravailler jusqu'au milieu des années 1950. Au fil du temps et des changements politiques, la biographie se mue en une somme fragmentaire de réflexions sur le régime fasciste. Elle prend tour à tour la forme de l'essai politique, proposant une généalogie du fascisme dans les religions européennes et une analyse fine de la publicité du Duce, puis celle de l'autocritique ou de la satire. Le texte révèle le cheminement d'un homme qui ne mâche pas ses mots, et qui place au-dessus de tout la "dignité", jusqu'à déplorer la façon dont fut exécuté Mussolini, en évoquant sa pitié devant sa dépouille. Le grand imbécile, nouvelle publiée dans le même volume, propose d'ailleurs de lui donner la seule défaite qu'il mérite : "Les tyrans, il ne faut pas les tuer, il faut les railler. Il ne faut pas les couvrir de sang mais de ridicule."
Ce n'est pas ici qu'il faut chercher un témoignage objectif (si l'expression n'est pas antinomique) de l'histoire de l'Italie. Ces pages constituent en revanche la forme hautement littéraire de l'engagement d'un homme dans celle-ci, avec son esprit, ses sentiments, et la verve qui les traduit.
(1) Voyage en Ethiopie, traduit de l'italien par Laura Brignon, Arléa, 5 janvier 2012.