Douleur de dire. Pathemata mathemata, « on apprend de ses souffrances ». Ce dicton des Grecs anciens imprègne le quotidien de Maggie, la narratrice de ce récit, écrivaine et corps souffrant. En lutte avec le « serpent de douleur » qui s'enroule autour de ses mâchoires et avec une errance médicale jalonnée de diagnostics farfelus, Maggie retrace l'histoire de sa bouche, d'une logorrhée infantile dont un orthodontiste tente d'endiguer le flux en fixant une pointe de métal à l'arrière de ses dents, à la vie masquée imposée par le Covid. Inépuisable, cette douleur l'incite à s'interroger sur son isolement et la portée symbolique du mal qui la ronge. Qu'est-ce que cela signifie, pour une écrivaine, d'être atteinte dans sa parole ? « La pointe de métal a délivré son message : il y avait un problème avec ma langue - il y avait un problème avec ses instincts. » Un constat d'autant plus amer que la douleur demeure insensible au langage, aux supplications de celle qui semble avoir tout tenté pour l'éradiquer, et dont la colère se trouve exacerbée par un contexte sociopolitique délétère, du cabinet de thérapie myofasciale situé dans une rue où tout « respire l'argent » à son logement où Maggie garde « la télécommande à portée de main au cas où il y aurait une boucherie en direct du Capitole ». Saisissant l'ordinaire grâce à sa poésie narrative désormais indissociable de sa signature, Maggie Nelson livre une méditation troublante et superbe sur la condition d'écrivaine en proie à la matérialité du corps, de la chair de sa chair et d'un monde peu à peu déserté par l'empathie.
Pathemata ou l'histoire de ma bouche
Éditions du sous-sol
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Céline Leroy
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19 € ; 110 p.
ISBN: 9782386630132