Le journal d'information et de critique sociale en ligne Lundimatin a étendu ses activités en 2021 et, en plus d'un studio vidéo, a monté une maison d'édition. Après avoir publié, outre sa revue, trois titres en trois années, l'équipe accélère la cadence et compte sortir environ dix livres par an. En cette fin 2025, quatre ouvrages voient le jour et trois autres sont à paraître au premier semestre 2026.
« Personne ne peut vraiment incarner Lundimatin, c'est une grande œuvre collective », précise d'emblée Mathieu Burnel, un des fondateurs du journal. Depuis sa création en 2014, plus de 7 100 articles ont été publiés sur le site, qui compte environ 450 000 visiteurs par mois.
Mathieu Burnel fait partie du noyau dur du comité de rédaction, qui gère aussi, au quotidien et dans les bureaux parisiens, la dimension technique, informatique, logistique... « les trucs chiants ». Mais le réseau d'autrices et d'auteurs de Lundimatin est très large. On y retrouve aussi bien des plumes littéraires (Nathalie Quintane, Éric Vuillard, Alain Damasio), qu'universitaires (Frédéric Lordon, Jean-Luc Nancy) ou encore des metteurs en scène et des réalisateurs (Jérôme Favre, Sylvain George).
Ce réseau s'est d'abord construit dès la fin des années 2000, à partir de complicités nées autour du Comité invisible [auteur ou groupe d'auteurs et autrices anonymes] et des inculpés de l'affaire Tarnac, dont Mathieu Burnel faisait partie. « On a alors rencontré beaucoup de personnes issues de différents milieux qui, dans le fond, pensaient la même chose que nous, qui étaient des amis dans le sens politique et sensible du terme. »
Désir d'archives
Ces rencontres et ces échanges ont inspiré la nécessité de créer un espace d'écriture et de lecture qui rassemble et diffuse ces voix multiples, parallèlement à un engagement politique hors normes. « En France, les milieux militants, académiques, sociaux, artistiques sont séparés... Lundimatin a été pensé comme un espace où toutes ces sensibilités arrivent à se rencontrer. »
Mais très vite, le format web hebdomadaire, qui impose une courte durée de vie à des textes remarquables, devient frustrant, et le désir d'archiver les articles les plus significatifs grandit. C'est ainsi que la première revue papier est née, en 2017, en coédition avec La Découverte. « On imagine que le lecteur type de Lundimatin est un jeune vingtenaire cagoulé ou normalien intello, mais une partie de notre lectorat est âgée, d'anciens soixante-huitards, et de nombreuses personnes restent encore attachées au papier », explique Mathieu Burnel. Sur les sept numéros de la revue, tirés entre 2000 et 4000 exemplaires, trois sont aujourd'hui épuisés.
« Nous considérons les livres comme des armes »
L'édition de livres est donc une suite logique dans l'histoire de Lundimatin. « Nous considérons les livres comme des armes et ce n'est pas qu'une belle formule. On ne peut pas envisager de bouleversement du monde sans bouleversement des idées et des représentations. »
C'est d'abord avec La Découverte, qui leur a proposé de créer une collection en coédition, que paraît le premier titre en 2022 : Lettres sur la peste d'Olivier Cheval, une série d'adresses composées pendant le confinement aux amis de l'auteur, sur la pandémie et ses conséquences. « Il ne s'agissait plus d'une extension papier du web, mais d'une extension de nos activités. »
Finalement, Lundimatin s'est constitué en maison d'édition indépendante. Non pas que la collaboration avec La Découverte se soit mal déroulée, bien au contraire, mais parce que le collectif a tenu à être absolument autonome dans le choix, la confection et la promotion de ses publications. « Ce qui a été nouveau pour nous, c'est le rythme de l'édition, qui n'a rien à voir avec celui d'un journal hebdomadaire en ligne où l'on peut modifier, ajouter, corriger des éléments à la dernière minute, et même après publication. Là, il faut tout prévoir un an à l'avance. » Autre volonté qui ne tombe pas sous la logique du milieu de l'édition : « On tenait à la possibilité de publier des livres qui ne se vendraient pas forcément bien. »
Théorie et sciences humaines, mais aussi création littéraire et poétique
Certes, la théorie et les sciences humaines font partie de l'ADN du collectif, mais la création, notamment littéraire et poétique, est aussi constitutive de la maison. « Il y a quelque chose d'éminemment politique dans la littérature », rappelle Mathieu Burnel. Deux autres titres ont paru en 2023, Retour à la parole sauvage du poète et philosophe martiniquais Monchoachi, et Ok Chaos de l'artiste française Leïla Chaix.
Après une année de latence, pendant laquelle le collectif s'est organisé pour s'adapter au rythme de l'édition - notamment en employant une personne dédiée et en travaillant avec la structure de diffusion Hobo -, quatre nouveaux livres paraissent en cette rentrée 2025 (Dix sports pour trouver l'ouverture de Fred Bozzi, La société réticulaire de Ian Alan Paul, Loading Rooms de Justine Lextrait et La fabrique de l'enfance de Sébastien Charbonnier) et trois autres, entre janvier et mars 2026 (Arts et politiques de la désertion. De la Première Guerre mondiale à nos jours de Lucas Salza, Sous le ciel étoilé, une nuit d'été - réflexions sur l'anarchie et la révolution de Maria Kakogianni, Taf. À la recherche du prolétariat perdu de Paul Martel). « Notre objectif est de maintenir en vie dix bouquins par an. » La machine est désormais « sérieusement » lancée.
