Il y a quelques semaines, l’édition française nous offrait, avec Ton père honoreras de Gay Talese (Sous-sol), un texte fondateur du nouveau journalisme. Aujourd’hui, avec L’Amérique défaite (Piranha) de George Packer, National Book Award 2013, en voici l’héritier le plus brillant. Grand reporter, plume régulière du New Yorker, mais aussi romancier et dramaturge, Packer est un écrivain. La lecture de quelques pages seulement de son Amérique défaite suffirait à en convaincre le plus sceptique des lecteurs, le plus attaché aux seuls privilèges de la fiction. Il est là, le fameux "grand roman américain", bien plus que nombre de fictions…
Le propos de George Packer : dresser un état des lieux clinique et empathique d’un empire à terre, les Etats-Unis d’Amérique. Tout commence entre la fin de la guerre du Vietnam et le début de Reagan, lorsque s’amorce l’ère de la désindustrialisation. Peu à peu, c’est tout le contrat social de la nation, celui des pères fondateurs, qui se déchire. La puissance économique (celle du complexe militaro-industriel) n’est rien si elle ne s’accompagne de vertu morale. Ce "Charybde en Scylla" n’a chez Packer rien de théorique. Il l’expose à travers les biographies brèves d’autant de ces héros défaits, Américains de la rue ou des champs. Une ouvrière noire de la "Rust Belt", un entrepreneur qui essaie de faire preuve d’imagination, un millionnaire de la Silicon Valley ou un lobbyiste de la côte Est entièrement dévolu à la carrière de Joe Biden. Et, entre chaque chapitre de ces vies minuscules, les biographies de ceux qui ont accompagné au premier rang et pour leur paradoxal profit cette chute interminable, Oprah Winfrey, Jay-Z ou Newt Gingrich. Ce n’est peut-être pas l’oncle Sam qu’on assassine, mais c’est au moins une idée du bonheur et de sa nécessaire poursuite. O. M.