En roue libre. Brûler des insectes à la loupe, jouer avec des allumettes, explorer des canalisations, élever des têtards, parcourir cette immense zone naturelle abandonnée nommée « la friche »... autant d'activités excitantes qui occupent deux garçons d'une dizaine d'années livrés à eux-mêmes lors d'un été des années 1970. L'un, Dave, gentil, bonne pâte, se laisse toujours entraîner par l'autre, Edward, plus dégourdi, plus sombre aussi.
Dans ce délicieux (et copieux, avec plus de 500 pages) récit autobiographique, l'auteur canadien Dave Lapp raconte ses souvenirs quelque quarante ans après, sans juger, sans enjoliver, sans vraiment faire preuve de nostalgie. De son trait net, minimaliste et clair, dans la tradition des John Porcellino, Adrian Tomine ou encore Chester Brown, il dépeint juste cette liberté immense dont il jouissait alors - les rappels à l'ordre parentaux étant assez rares malgré les efforts de sa mère pour le cadrer un peu. À travers ses dialogues réalistes, limpides, Dave Lapp ne cherche pas à faire rire mais à retrouver la réalité de son enfance. Et dans cet été de tous les possibles, sa réalité ne se résume pas à l'insouciance et à l'indépendance. Il évoque la menace perpétuelle du danger : on se blesse avec une scie ou un marteau, on joue avec des armes à feu, on se retrouve enlisé dans de la boue. Il montre l'insensibilité des gamins envers la nature qu'ils observent pourtant avec fascination et la cruauté dont ils font preuve les uns envers les autres. Edward profite ainsi de la candeur de Dave pour l'inciter à faire des bêtises et le laisse souvent punir à sa place. Et alors que Dave admire Edward, celui-ci n'hésite pas à le laisser tomber et à le tyranniser quand il trouve des potes plus dessalés et risque-tout que lui. « Pourquoi des fois vous êtes aussi méchants avec moi ? » demande Dave. « Chais pas... parce que c'est marrant », répond Edward. Bref, la réalité du jeune Dave Lapp, c'est l'âge adulte qui se profile déjà, même si ses camarades et lui ne sont encore que de jeunes enfants qui continuent à organiser des lancers de peluches.
En filigrane, dans cet album où la simplicité du dessin sous-tend un propos moins innocent qu'elle ne pourrait le laisser croire- en quoi Dave Lapp fait penser à Schulz ou Max de Radiguès-, l'auteur aborde d'autres problématiques : la fatigue d'une femme qui s'occupe du foyer sans aucune aide de son mari, l'éveil à la sexualité, les châtiments corporels, le saccage de l'environnement (la friche est promise à la destruction pour laisser place à un lotissement)... Même si le ton est doux-amer, le regard de Dave Lapp sur cette époque reste lumineux, encore émerveillé par les possibilités qui s'offraient à lui en ce bel été.
La friche
Ici Même
Traduit de l’anglais (Canada) par Bérengère Orieux
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 32 € ; 552 p.
ISBN: 9782380462227