Alors que le grand âge et la maladie ont contraint Zao Wou-Ki à ranger ses pinceaux en 2010, et que se font jour autour de sa personne et de son oeuvre des rivalités sordides, un ouvrage monumental vient revisiter le parcours de cet artiste d'exception. Carnets de voyages couvre la période 1948-1952, de son installation à Paris jusqu'à son tournant vers ce qu'on a appelé "l'abstraction lyrique". L'encre, l'eau, l'air, la couleur se veut la rétrospective d'un demi-siècle de travail, d'expérimentations de techniques nouvelles - l'aquarelle et l'encre de Chine, "redécouverte" sur les conseils de son ami Henri Michaux - et d'expositions dans le monde entier. S'y ajoute aujourd'hui Dans l'ultime bonheur de peindre.
Conçu et agencé par Françoise Marquet, la dernière épouse de M. Zao, cet album montre pour la première fois des oeuvres inédites de ces dix dernières années, lesquelles risquent de constituer "l'ultime chapitre de son oeuvre", écrit-elle. Ce qui frappe, en découvrant ces tableaux, c'est la prodigieuse liberté dont fait preuve l'artiste, et sa volonté de revenir à ses fondamentaux : l'aquarelle, l'encre de Chine, et même la figuration ! Le voici qui, en 2003, éprouve le besoin de glisser un petit bateau chinois dans un triptyque abstrait à l'origine, Le vent pousse la mer. Autre nouveauté : plutôt que de demeurer enfermé dans son atelier, Zao Wou-Ki se met à peindre dehors, "sur le motif", comme le faisaient les impressionnistes. Dont son cher Monet.
Né à Pékin en 1920, naturalisé Français en 1964 grâce à Malraux - alors ministre de la Culture - dont il avait illustré La tentation de l'Occident, Zao Wou-Ki est le plus français des peintres chinois. Installé à Montparnasse dès 1948, il a voyagé dans le monde entier, y compris dans son pays, la Chine, avec qui les ponts n'ont jamais été rompus. Ici, il a reçu bien des honneurs, été l'ami des plus grands artistes (Riopelle, Soulages ou Giacometti, entre autres), et célébré par de grands écrivains : Michaux - qui était aussi le plus oriental des peintres -, Malraux, Char ou François Cheng.
D'octobre 2012 à décembre 2013, ses oeuvres inédites seront exposées au musée des Beaux-Arts de Rouen, au Centre culturel de Chine à Paris, puis au musée des Beaux-Arts d'Orléans. Le bel album Dans l'ultime bonheur de peindre, qui les rassemble toutes, constitue en quelque sorte le catalogue des trois expositions, mais va au-delà. En guise d'hommage à l'un des plus grands peintres vivants, il nous le montre dans sa spontanéité, sa jeunesse de créateur. C'est cette image que l'on gardera de Zao Wou-Ki.