En cessant, en mars dernier, de produire et de vendre des livres audio, les éditions VDB ont créé un froid dans le secteur. Lassé par le manque de perspectives de son activité malgré un chiffre d’affaires déclaré de 800 000 euros sur la partie livres audio, le fondateur de la maison, Dirk Van den Bosch, a tout simplement décidé de jeter l’éponge. «Nous ne sommes pas en faillite, nous avons un très bon bilan», tient-il à préciser. Mais, ajoute-t-il, VDB faisait face à «une concurrence exacerbée», et le téléchargement illicite lui causait un lourd préjudice. «Nous avons enregistré une baisse de 50 % de notre chiffre d’affaires dans les trois premiers mois de 2013, et c’est essentiellement dû au piratage», observe Dirk Van den Bosch. D’après ses estimations, les titres VDB ont été téléchargés 100 000 fois sans autorisation. «Nous avons décidé d’arrêter car il est impossible de vivre comme cela, à passer plus de temps à faire la police sur Internet qu’à nous occuper de notre métier d’éditeur.» La société se recentre sur l’édition d’ouvrages en grands caractères, une activité pour laquelle Dirk Van den Bosch ne se berce pas non plus d’illusions : «Ce type de livres est lui aussi amené à disparaître à cause de la numérisation. Nous sommes sur des produits has-been.»
S’il traduit un certain malaise parmi les éditeurs spécialisés, le retrait de VDB, acteur historique du marché, témoigne surtout de la recomposition d’un secteur qui se structure davantage année après année autour d’acteurs puissants, Audiolib en tête. Avec l’arrivée de nouvelles têtes, tant du côté de l’édition que de la distribution, le marché fait même preuve d’un regain de dynamisme. Les road-books de Sipe Productions (voir encadré p. 60) ambitionnent d’ouvrir le livre audio à un nouveau public. Un objectif que partagent également les plateformes de téléchargement Audioteka et Book d’Oreille, toutes deux lancées cette année.
Percée du téléchargement
Le patron d’Audioteka France, Guillaume Devoud, ne cache pas son intention de «révolutionner» le marché. Sa société, arrivée en mai dans l’Hexagone, depuis la Pologne où elle a été créée en 2008, connaît depuis deux ans un fort développement international en investissant également l’Espagne, le Royaume-Uni, et bientôt l’Allemagne et l’Italie. Dans l’Hexagone, elle a noué des accords avec la quasi-totalité des éditeurs français et propose aujourd’hui plus d’un millier de titres sur son site français. Elle assoit son développement sur des partenariats stratégiques avec des marques grand public. «Nous sommes accompagnés de près par Nokia, HTC, Samsung, Huawei… Nous travaillons aussi beaucoup avec Orange», indique Guillaume Devoud. Plutôt que d’attendre la venue des internautes sur son site, Audioteka les met en situation de découvrir son offre en allant à leur rencontre. Les fabricants de smartphones, avec lesquels l’entreprise s’est associée, préinstallent une application Audioteka en usine, ce qui leur permet d’offrir un livre audio en cadeau de bienvenue à leurs clients. La plateforme s’est également entendue avec des constructeurs automobiles comme Ford pour proposer des applis fonctionnant en voiture comme sur un mobile. «Ces partenariats nous permettent d’élargir le public habituel du livre audio en nous adossant à des géants industriels qui ont d’énormes moyens de communication», résume Guillaume Devoud.
Autre nouveau venu sur le marché de la vente en ligne, Book d’Oreille n’était encore qu’un simple portail d’information dédié au livre audio lorsqu’il a choisi de basculer à la fin du mois d’août vers la constitution d’une offre de téléchargement légal. Après quelques mois d’activité, le fondateur Olivier Carpentier tire un premier bilan positif. «Nous avons encore un problème de notoriété, c’est évident. Mais nous avons des clients qui reviennent et je suis surpris par le caractère inattendu de certains achats qui portent sur des titres très pointus en sciences ou en développement personnel.» Pour Véronique Haïtse, codirectrice de la collection « Chut ! », à L’Ecole des loisirs, «l’offre de Book d’Oreille est intéressante car elle est plus ciblée, il y a des espaces distincts pour les ouvrages jeunesse et à destination des adultes, on peut aussi faire des recherches par éditeurs. C’est plus fouillé que sur certaines plateformes existantes ». Book d’Oreille propose les titres de la majorité des maisons d’édition françaises et finalise actuellement un accord avec Audiolib. La plateforme espère également collaborer sous peu avec Gallimard et Thélème. «Cela prend du temps parce que ces deux maisons travaillent de concert pour mettre en place une solution technique avec Eden, un service auquel nous allons aussi nous arrimer pour vendre nos livres audio», explique Olivier Carpentier.
La création d’un volet audio sur Eden Livres, la plateforme numérique commune de Madrigall (Gallimard/Flammarion) et de La Martinière, est en effet l’autre développement majeur de l’année sur le front du téléchargement. Eden est déjà actif pour la vente de livres numériques, mais n’avait pas encore développé d’offre audio. Celle-ci devrait être opérationnelle d’ici à la fin de l’année. «La création de cette offre va dans le sens de l’outil pour accueillir d’autres diffuseurs, explique Mathieu Raynaud, directeur des ventes librairie en ligne Eden. Nous hébergeons des métadonnées pour les libraires et les éditeurs qui souhaitent vendre leurs livres de manière immatérielle.» Du côté des vendeurs en ligne, Eden Livres s’est notamment entendu avec Audioteka et Sigelis. Le distributeur numérique est aussi en train de se rapprocher d’Audible et de Book d’Oreille. «Le but de nos discussions avec Audible est de parvenir à une collaboration telle qu’elle s’opère déjà avec Amazon pour la vente des livres numériques», indique Eric Marbeau, responsable des partenariats et de la diffusion numérique chez Gallimard. Des rapprochements sont également en cours avec des sites non spécialistes de la librairie comme Qobuz ou Starzik, et avec les réseaux traditionnels. Cet automne, Eden pourra ainsi faciliter la distribution auprès de quelque 90 sites marchands, dont des librairies indépendantes.
Miser sur la qualité
En pleine mutation, l’offre de téléchargement ne représente pourtant encore en moyenne que 10 % des ventes des éditeurs de livres audio, alors que ces derniers sont confrontés parallèlement à un moindre dynamisme de l’activité dans le réseau physique, avec de fortes variations en fonction des acteurs. «Les librairies se portent mal et les livres audio restent peu visibles dans les rayons», déplore Arnaud Mathon, patron de la librairie spécialisée Livraphone et des éditions Sixtrid. Ces dernières enregistrent un recul de 10 à 15 %. «La clientèle particulière se fait rare. Nous travaillons énormément sur les marchés publics», indique-t-il. Sixtrid bénéficie tout de même des bonnes ventes d’auteurs comme Henning Mankell ou Arturo Pérez-Reverte. Les chaussures italiennes d’Henning Mankell constitue d’ailleurs la meilleure vente de l’éditeur en 2013, avec 1 200 exemplaires.
Frémeaux annonce pour sa part une progression de son chiffre d’affaires de 2 % sur les douze derniers mois, alors qu’il a réduit le nombre de ses publications. «Nous continuons à limiter la production, nous voulons vraiment nous positionner sur la qualité», justifie Patrick Frémeaux, le patron de la maison. Sonobook a de son côté commencé à travailler cette année avec Cap Diffusion pour développer son activité, et dresse un bilan mitigé de l’exercice en cours. «Les choses se mettent en place, cela prend du temps», commente Patrick Meadeb, le gérant de Sonobook. L’éditeur a publié quatre nouveautés en 2013, dont Conan le Cimmérien et un document intitulé Les mystères du cerveau. «Nous voulions produire davantage, mais j’attends que ce soit un peu plus huilé avec Cap Diffusion avant de m’y mettre», précise Patrick Meadeb.
«Le début d’année a été difficile pour tout le monde, estime Adeline Defay, chez Thélème, mais on attend comme toujours un rebond pour les fêtes de Noël.» Le livre audio se vend en effet traditionnellement mieux à la fin de l’année et les libraires en tiennent compte pour leurs mises en place. Les meubles Gallimard/Frémeaux, lancés il y a deux ans, soutiennent ainsi l’activité des deux éditeurs, mais bénéficient d’installations très inégales. «Certains libraires sont contents du meuble et l’utilisent toute l’année, d’autres le voient comme un support à court terme pour accompagner les bonnes ventes de fin d’année. Mais on ne peut pas se satisfaire de ne voir nos produits mis en avant que pendant la période des fêtes», souligne Patrick Frémeaux.
Après un exercice 2012 particulièrement difficile, CDL éditions annonce une stabilisation de son chiffre d’affaires. La maison dirigée par Alain Boulard vient de publier A l’ouest rien de nouveau qui «démarre très fort». Elle a aussi obtenu auprès d’Albin Michel les droits des Allumettes suédoises, qui constitue l’une de ses meilleures ventes en 2013. En 2014, l’éditeur publiera notamment Le fusil de chasse de Yasushi Inoué. «Cela faisait un moment que nous essayions de l’avoir, nous sommes très satisfaits», souligne Alain Boulard. Au Livre qui parle, la gérante du site, Isabelle Pierret, confirme la bonne dynamique de l’éditeur sarthois : «CDL éditions a progressé dans nos ventes cette année grâce à des choix éditoriaux intéressants», constate-t-elle. En jeunesse, L’Ecole des loisirs tire son épingle du jeu avec une progression de 40 % de son chiffre d’affaires, selon Véronique Haïtse. La collection «Chut !» conserve son rythme de six parutions annuelles et a bénéficié du succès de titres comme Mon petit cœur imbécile de Xavier-Laurent Petit ou Rex, ma tortue de Colas Gutman.
La nouveauté d’abord
Ce sont comme toujours les titres contemporains qui monopolisent les meilleures ventes, à commencer par ceux que propose le leader du marché, Audiolib. La filiale du Livre de poche (Hachette, avec Albin Michel), dont France Loisirs est aussi actionnaire, pèse à elle seule plus de la moitié du marché et dispose d’un catalogue de 310 références, avec une cinquantaine de nouveautés tous les ans. La directrice générale d’Audiolib, Valérie Lévy-Soussan, annonce une progression du chiffre d’affaires d’environ 5 %, portée par des titres comme Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire (3 000 exemplaires depuis sa sortie en juin) ou La vérité sur l’affaire Harry Quebert (4 500 depuis mars). «Inferno de Dan Brown et les trois tomes de Fifty shades se vendent bien aussi», précise-t-elle.
Chez Gallimard, dans la collection «Ecoutez lire», Le grand Cœur de Jean-Christophe Rufin, avec près de 2 000 unités vendues, La délicatesse de David Foenkinos, ou Fantôme de l’auteur de polars norvégien Jo Nesbø, sont quelques-unes des têtes d’affiche d’une production qui comprend toujours une vingtaine de titres par an. «Nous continuons à privilégier la concomitance des parutions audio avec celles des livres papier qui font l’actualité», explique Paule du Bouchet, responsable de la collection «Ecoutez lire». Pour l’année prochaine, Gallimard s’appuiera également sur la série à succès Le trône de fer, dont sera lancé le premier tome.
Chez Thélème, qui est diffusé depuis mars 2013 par Volumen (la distribution remonte à juillet 2012), la fin de l’année voit paraître plusieurs titres en provenance du catalogue d’Actes Sud comme Cherchez la femme d’Alice Ferney et Profanes de Jeanne Benameur, mais aussi d’autres éditeurs comme L’échange des princesses de Chantal Thomas (Seuil) ou Transatlantic de Colum McCann (Belfond). Sixtrid annonce pour début 2014 Le tango de la Vieille Garde d’Arturo Pérez-Reverte, et La mort muette de Volker Kutscher, tandis qu’Audiolib proposera le dernier Harlan Coben. «Cet auteur était jusqu’à présent publié par VDB, nous en avons récupéré les droits», se félicite Valérie Lévy-Soussan. Audiolib a également publié le 16 octobre Méditations sur l’amour bienveillant de Fabrice Midal, l’auteur du best-seller 12 méditations guidées pour s’ouvrir à soi et aux autres.
Ce dynamisme des titres contemporains a pour corollaire un resserrement des ventes pour les ouvrages plus anciens. «Les titres du fonds, qui tournaient encore il y a quelques années, trouvent moins leur place en rayon en raison de la production importante qui arrive chaque année, estime Isabelle Pierret, gérante du site Le Livre qui parle. A ce titre, Audiolib bouscule beaucoup le marché.» Dans son activité édition, Le Livre qui parle publie peu d’œuvres contemporaines et développe en ce moment la série de romans de cape et d’épée Les Pardaillan. Les quatre premiers tomes ont déjà été publiés et les suivants sont annoncés pour bientôt.
Les classiques ne sont donc pas négligés. Gallimard annonce 1984 de George Orwell, mais aussi L’adieu aux armes d’Hemingway et La mort de près de Maurice Genevoix dans le cadre des célébrations du centenaire de la Grande Guerre. Audiolib, qui consacre 90 % de sa production aux œuvres contemporaines, a aussi donné leur chance à quelques grands textes comme Le chef-d’œuvre inconnu de Balzac, et Histoire d’O. «Pour que nous investissions dans un classique, il faut que ce soit un titre vraiment intemporel ou qu’une actualité le justifie, comme cela a été le cas cette année avec Gatsby le magnifique», explique Valérie Lévy-Soussan. «Les classiques se vendent moins au départ, mais durent beaucoup plus longtemps», rappelle Adeline Defay, chez Thélème, qui a récemment publié Crime et châtiment et Notre-Dame de Paris. Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand s’est bien vendu chez Frémeaux, qui a aussi bénéficié de la bonne tenue de la collection des Puf sur l’histoire de France, dirigée par Claude Gauvard.
Le livre audio en chiffres
Sipe mise sur les road-books
Plus scénarisés que les livres audio traditionnels, les road-books apportent une notable innovation éditoriale.
S’ils sont audio, les road-books ne sont pas à proprement parler des livres audio, car ils ne proposent pas une lecture intégrale des œuvres enregistrées, mais une version scénarisée, condensée et mise en musique à grand renfort d’effets sonores. Jusqu’à 25 comédiens peuvent être mobilisés pour un «tournage» de Sipe Productions, qui a fait appel à quelques voix célèbres (Patrick Poivey, le doubleur officiel de Bruce Willis, Jean-Yves Lafesse…) qui renforcent l’effet d’immersion.
L’initiateur des road-books, Laurent Labat, parle volontiers de « produits intermédiaires » pour qualifier ces nouveaux objets. «Un livre audio de 21 heures, c’est lourd. Il faut faire preuve d’une certaine motivation pour avoir envie de l’écouter jusqu’au bout. Avec les road-books, nous proposons une expérience nouvelle, à destination d’un public nomade qui veut découvrir une œuvre pendant un trajet.»
Comme leur nom l’indique, les road-books s’adressent surtout aux voyageurs, et leur durée n’excède pas 1 h 45. Un choix de concision qui se révèle assez clivant auprès des acheteurs. A la librairie Livraphone, les road-books séduisent, mais « beaucoup de clients préfèrent les livres audio en version intégrale car ils sont attachés au respect du texte de l’œuvre originale », observe son directeur, Arnaud Mathon. Sur Book d’Oreilles, plateforme de téléchargement lancée cet été, «les road-books se vendent très bien», indique Olivier Carpentier, fondateur du site.
Les titres se présentent sous deux formats : les traditionnels CD MP3 à insérer dans un lecteur, et des petits boîtiers pourvus d’un casque et ne requérant aucun outil intermédiaire d’écoute. «Vous appuyez sur “lecture” et vous êtes paré pour le voyage», résume Laurent Labat. Sipe est aujourd’hui surtout présent sur les plateformes de téléchargement et travaille à son implantation dans des points de vente adaptés à son cœur de cible. Gares, aéroports et stations-service devraient bientôt voir fleurir les road-books estampillés du nom de la société. «Le réseau France Loisirs devrait nous mettre en gondole assez vite, et les centres culturels Leclerc sont également intéressés», assure Laurent Labat.
Le catalogue de road-books compte 13 titres. Une dizaine d’autres sont annoncés pour 2014, dont, dans une collection jeunesse, quatre contes des frères Grimm, et des titres d’Arthur Rimbaud et de l’anthropologue Carlos Castaneda.