En 1798, l’expédition de Bonaparte en Egypte fut un choc. "La France de la Révolution a pensé les Arabes en tant qu’Arabes alors qu’eux-mêmes ne se considéraient encore que comme musulmans." Par la suite, la violence de la colonisation algérienne a renforcé l’islamisation. Enfin, les récents mouvements révolutionnaires en Tunisie puis en Egypte ont voulu retrouver l’esprit des pionniers des Lumières arabes au XIXe siècle en cherchant à s’émanciper du religieux. Mais les dictatures, au Yémen, en Syrie et ailleurs ont tout fait pour entretenir les mouvements radicaux islamistes afin de préserver leur pouvoir. C’est ce qui ressort des quelque deux siècles d’histoire commune retracés avec concision par Jean-Pierre Filiu.
Accessible sans être didactique, cet essai lumineux pointe toutes les occasions manquées, les promesses trahies et les erreurs diplomatiques, à commencer par celle de vouloir soumettre les Arabes plutôt que de les associer. Car l’histoire des Arabes et de l’Occident, c’est d’abord celle d’une incompréhension. Quant à la question palestinienne, Jean-Pierre Filiu la résume en quelques mots : "Erigée en "cause" centrale des Arabes, la Palestine va servir de prétexte au grand détournement de leurs indépendances par des cliques dictatoriales." Sur fond de manne pétrolière, despotes et djihadistes s’alimentent les uns les autres au détriment de cette Nahda - Renaissance arabe - qui se fait attendre.
Grand connaisseur du monde arabo-musulman, ce professeur à Sciences po a conçu cet indispensable précis historique pour tous ceux qui veulent appréhender les faits au-delà de l’événementiel. C’est aussi une façon de sortir de l’historicisation du présent pour saisir qu’un nouveau monde arabe est peut-être en train d’émerger sans que nous en distinguions encore bien les contours. L. L.