Salaires

Libraire : un métier, une passion, et le Smic

Libraire : un métier, une passion, et le Smic

Alors que l’inflation continue son œuvre, les employés des librairies françaises s’avèrent particulièrement vulnérables. En cause : de bas salaires et des perspectives de progression particulièrement limitées, en dépit du niveau de qualification exigé des salariés.

Par Antoine Ginésy
Créé le 10.03.2024 à 18h00 ,
Mis à jour le 18.03.2024 à 08h03

Entré en vigueur en décembre, l’accord signé par la CFDT et le Syndicat de la librairie française (SLF) s’est tout de suite vu rattrapé par la revalorisation du Smic à l’échelle nationale : tandis que la nouvelle grille de salaire prévoyait une rémunération brute minimale de 1 760 €, le salaire minimum s’établit depuis janvier à 1 766,92 €.

Franck Brunet, représentant CFDT, dénonce d’ailleurs la lenteur de mise en application des accords de branche qui condamne les syndicats à toujours courir après la hausse d’un Smic indexé sur l’inflation.

Un niveau de qualification élevé

Les négociations de l’année 2024 ont déjà commencé, sans pour l’heure aboutir à un accord. Franck Brunet admet que les libraires auraient besoin qu’une remise plus importante soit concédée par les éditeurs : n’ayant aucun moyen d’augmenter leurs prix de vente, les détaillants ne disposent pas des leviers nécessaires pour revaloriser des rémunérations pourtant particulièrement basses. De fait, au sein de la grille actuelle, les caissiers et manutentionnaires des grandes enseignes ne peuvent prétendre à aucune évolution de salaire, à moins de changer de fonction. Les vendeurs, dont la rémunération oscille entre 1 774 € et 1 877 €, ne sont guère plus avancés. Employé chez Arthaud (Grenoble), Frédéric Roz, en charge des négociations pour la CGT, déplore une situation ou la plupart des jeunes libraires sont embauchés à des seuils proches du Smic : le revenu des vendeurs de premier niveau, qui continue de stagner, s’élève à seulement 10 € de plus que le salaire minimum.

La situation est d’autant plus difficile à accepter que le métier nécessite un niveau de qualification élevé. Frédéric Roz en témoigne, dans l’établissement où il travaille, la plupart des vendeurs bénéficient d’une formation bac +3, parfois d’un master. Florence Rio, maître de conférences à la faculté de Lille, a dirigé jusqu’à l’année dernière la licence professionnelle librairie proposée par son université : bon nombre de ses étudiants disposaient déjà d’un master, voir un doctorat. Dans un domaine où la culture du libraire est fréquemment posée comme une évidence, ces années de formations s’avèrent souvent nécessaire, parfois indispensables.

« La plupart du temps, les étudiants savent qu’ils se dirigent vers une profession mal rémunérée, mais se persuadent que leur passion pour les livres suffira à compenser un faible salaire » détaille l’enseignante. Face à la réalité d’une vie en entreprise où les belles lettres se commettent régulièrement avec le négoce, l’argument du « métier passion » est pourtant susceptible d’être utilisé en leur défaveur. Frédéric Roz, qui a souvent dû essuyer ce genre d’objections, s’indigne d’ailleurs que la motivation des employés puisse être opposée à leurs revendications salariales

Un manque criant de perspectives

Florence Rio relate d’ailleurs l’amertume de beaucoup de ses anciens étudiants. Au bout de quelques années, les jeunes libraires, entrés enthousiastes dans la profession, sont confrontés à un manque criant de perspectives professionnelles s’ils ne disposent pas des fonds pour ouvrir leur propre enseigne. Frédéric Roz fournit l’exemple de sa propre carrière : dix ans sans revalorisation entre 2012 et 2022. Quand une augmentation est accordée, elle s’avère souvent minime, car les salariés stagnent dans la même catégorie professionnelle. Si Franck Brunet pense que les employeurs suivent en général honnêtement la grille de salaire, son homologue de la CGT est plus sceptique. D’après lui, nombre de vendeurs officient en tant que gestionnaires de rayon, ce qui devrait leur assurer un salaire d’agent de maitrise (1965 € par mois au minimum) s’ils évoluaient sous le bon statut.

Alors que ni leurs études ni leur expérience ne semblent devoir trouver un prix adéquat, les employés se posent la question du coût d’un dévouement souvent considéré comme acquis. Premier syndicat aux élections professionnelles, la CGT revendique un salaire minimum à 2 000 €. La CFDT tente, elle, de faire entendre aux employeurs le discrédit que des émoluments si bas risquent de faire peser sur le métier en tant que tel. « Revaloriser les salaires permettrait d’affirmer dans le monde du livre la valeur de notre profession », conclut Franck Brunet.

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