Comme celle de Walter Benjamin, l’œuvre d’Hans Blumenberg (1920-1996) est aussi imposante qu’inclassable. Saluons donc la démarche d’un petit éditeur exigeant qui propose deux nouveaux inédits aux lecteurs français. Concepts en histoires reprend le feuilleton paru de 1985 à 1990 dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. L’ensemble relève de la chronique philosophique de haut vol pour les idées et du travail d’orfèvre pour le style. Blumenberg y parle de la force probante des choses, des croyances, de la mutation de la conscience, ou bien commente ce mot d’Edouard Herriot, "la culture est ce qui reste quand on a tout oublié".
Son père photographe lui a transmis le sens de l’image et du détail qui révèle l’ensemble. Ajoutons-y le goût de l’ironie et de la formule, ce qui le rapproche encore de Benjamin. Ainsi sur le goût. "L’homme est l’être qui vit du superflu pour le superflu, et ce, même lorsque le nécessaire lui manque." Ou encore sur la notion d’élite. "Dès qu’elle s’élargit, une élite transforme ceux qu’elle accueille en défenseurs tout aussi résolus de ses privilèges que l’étaient auparavant ses détracteurs victorieux."
Dans les chroniques, on papillonne, c’est l’usage. Dans la Théorie de l’inconceptualité, on théorise, c’est la règle, mais de manière beaucoup plus accessible que ne le laisse envisager son titre. Dans ce texte fluide, dense et inachevé, Blumenberg explique que "nous devons nous habituer au fait que le concept ne soit pas ce qui va de soi". Et il le dit avec une telle intelligence, une telle clarté qu’on le croit sans sourciller. L. L.