Prix Interallié 2008 pour Le premier principe, le second principe (JC Lattès, repris au Livre de poche), Serge Bramly a souvent intégré avec talent des personnages bien réels dans ses romans. Le voici cette fois qui s'empare de Marcel Duchamp dans le très original Orchidée fixe.

Nous sommes en mai 1942. Duchamp fuit la France occupée par l'armée de IIIe Reich. Il vient de Marseille et se rend aux Etats-Unis. A bord du Maréchal Lyautey dont il est l'un des 493 passagers, il débarque à Casablanca, "la ville phare, l'eldorado, la perle du Maghreb", où il doit faire escale. L'artiste iconoclaste voyage léger avec deux valises. Il a alors 55 ans et semble "à bout, au physique comme au moral".

A Genève, il a acheté deux machines permettant d'aiguiser les lames de rasoir Gillette : une pour lui, l'autre destinée à son ami Henri-Pierre Roché. Avec les "transits", il est transféré au camp d'hébergement de la Résidence Beaulieu où il n'y a pas de lits, juste des paillasses étendues à même le sol de ciment gris. Ce féru d'échecs qui ne sue jamais, "quelle que fût la température", et se déclare "autonettoyant" va se retrouver accueilli au cercle de l'Eden dont le propriétaire, que l'on surnomme "le baron de la Cale", est un certain Zafrani.

Le voyageur intrigue la petite bande de l'Eden. Les résistants locaux s'interrogent sur son compte, se demandent s'il travaille "pour la police, pour les sbires de Berlin installés à l'hôtel Anfa, sur la corniche, peut-être même pour le nouveau haut-commissaire aux questions juives, l'infâme Louis Darquier de Pellepoix"...

Romancier très aguerri, Serge Bramly emmène aussi le lecteur à Tel-Aviv. Là où Tobie Vidal, spécialiste de l'art du XXe siècle, se rend de nos jours alors qu'il prépare un ouvrage définitif sur Duchamp et vient récolter le témoignage des descendants de la famille Zafrani. Basculant parfaitement entre les époques, Orchidée fixe est une vraie réussite dont se dégagent un charme et un mystère que l'on garde longtemps en mémoire.