On peut voir l'Histoire comme une suite d'affaires classées que l'on reclasse sans cesse, et les historiens comme des Lilly Rush qui ressortent inlassablement des dossiers pour les réexaminer. C'est en tout cas ce que l'on ressent à la lecture de La vérité sur la tragédie des Romanov.
Marc Ferro n'a jamais cru à l'exécution de la tsarine et de ses quatre filles dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918. Cela a toujours relevé pour lui du dogme, une vérité sans preuves. Il l'avait écrit en 1990 dans sa biographie de Nicolas II parue chez Payot, mais personne n'y avait prêté attention en France. Il citait pourtant, à l'appui de sa démonstration, le témoignage de Marie, l'une des filles du tsar.
Les années passèrent et l'historien, qui dirigea la revue Les Annales, se consacra à d'autres travaux. Jusqu'à ce qu'intervienne un élément essentiel, une preuve supplémentaire de la survivance de la tsarine et de ses filles après le massacre d'Ekaterinbourg. Il s'agit du journal de la grande duchesse Olga, récemment découvert au Vatican par la journaliste américaine Marie Stravlo, un texte écrit en 1954 et qui vient d'être publié en Espagne aux éditions Martínez Roca sous le titre Estoy viva : las memorias inéditas de la última Romanov.
Marc Ferro n'a jamais nié cette tuerie. Mais, du haut de son expérience et avec une vivacité intacte malgré ses 87 ans, il explique pourquoi elle fut mise en scène par les bolcheviques qui voulaient négocier la paix avec Guillaume II, dont Olga était la filleule. Cela, c'était avant la défaite de l'Allemagne. Après, Lénine et les Rouges n'avaient pas envie d'expliquer aux Russes qu'ils avaient tué Nicolas II en épargnant la tsarine et ses filles parce qu'elles étaient d'origine allemande... Quant aux Blancs, ils préférèrent charger les bolcheviques de ce massacre, en accusant "le Juif Iourovski" d'en être l'exécuteur et faire passer celle qui prétendait à raison être Anastasia pour une affabulatrice.
Bref, politiquement, les deux camps avaient tout intérêt à faire croire à cette funeste version que Marc Ferro considère comme "le premier échange Ouest-Est de l'histoire". Il l'explique très clairement dans cette enquête menée tambour battant, avec en annexe toutes les pièces, nouvelles et anciennes, du dossier, y compris sur le tsarévitch Alexis qui, lui, n'avait aucune raison d'être épargné mais s'enfuit pour finir dans l'anonymat d'un cordonnier...
Mais, alors, à qui appartenaient les restes des corps expertisés plusieurs fois par ADN ? Au docteur Botkine et à des domestiques qui étaient de toute manière destinés à être fusillés. Et on voit bien l'inspecteur Ferro tirer sur sa pipe avant d'écrire en refermant le dossier : "Je crois avoir découvert la vérité sur la tragédie des Romanov."