« Petit Blanc » était l’expression qui s’appliquait à l’Européen pauvre des colonies. Aujourd’hui, l’expression recouvre une tout autre réalité : misères sociale et morale combinées, sur fond d’indifférence universelle. Il s’agit du Français « de souche » précaire, vivant en milieu rural ou en zone périurbaine. Ce laissé-pour-compte du discours politique (hormis celui des extrêmes de Mélenchon et de Marine Le Pen) est aussi bien invisible du citadin aguerri à la culture mondialisée que voué au mépris voire à la haine des populations immigrées, voyant en lui le représentant dégénéré de l’ex-puissance coloniale. Aux Etats-Unis, où le « melting-pot » - autrement dit, le communautarisme assumé - est la règle, les termes white trash, « déchet blanc », sont utilisés pour désigner ces Blancs plus pauvres que les Noirs et les Latinos, ces Blancs qui ont raté le coche du progrès social.
Si, en France, la référence à la couleur de la peau peut choquer le bien-pensant ayant biberonné au catéchisme égalitaire et intégrationniste de la République, elle traduit une réalité tout à fait concrète sur le terrain - la racialisation d’une société dont on a oublié les défavorisés caucasiens et qui forment à présent une classe de personnes éjectées du système. Aymeric Patricot a fait ce « voyage dans la France d’en bas ». Son livre, Lespetits Blancs, est l’un des premiers titres de la nouvelle maison d’édition Plein jour consacrée aux « documents littéraires ».
Dans le portrait de ce sous-prolétariat, le cynisme le dispute au sarcasme. Des émissions de reportage comme « Strip-tease » montrent des paysans ou des ouvriers en déshérence de manière ambiguë. Des sketches d’un Djamel Debbouze se moquent carrément : « Ils sont moches, les gens de Montbéliard. Quand j’y ai été, je me suis dit le nuage de Fukushima, il s’est arrêté en centre-ville. »
Surpris hors micro, en marge d’un discours, le candidat du Front de gauche à la présidentielle lâche : « Je ne peux pas survivre quand il n’y a que des blonds aux yeux bleus. » On imagine le tollé si un politicien eût dit ça d’un autre groupe ethnique… L’auteur d’Autoportrait du professeur en territoire difficile (Gallimard, 2011) injecte de l’humanité dans ces caricatures rapides de ces oubliés de la France métisse. Le Ch’ti chômeur de génération en génération, le paysan pauvre se sentant « bouseux » lorsqu’il s’aventure en ville, la vacataire d’anglais militante FN à force de rancœur lorsqu’elle entend le discours victimaire « des Arabes », des jeunes provinciaux nulle part à leur place, ni dans leur ville d’origine, ni dans le Paris des « bobos », le « petit Blanc doublé de nègre blanc » comme Kool Shen (de parents portugais), l’alter ego de Joey Starr de NTM qui aurait fait une meilleure carrière s’il n’avait pas été un « babtou » (verlan de toubab, « Blanc » en Afrique de l’Ouest)… Aymeric Patricot ne juge pas, fait seulement ce constat personnel : « Ces petits Blancs que je m’efforce de décrire sont comme l’envers infernal de ma famille : une menace autant qu’un terreau mythique. Je ne suis pas loin d’être un déclassé. […] Et je ressemblerais fort à ces petits Blancs si j’avais moins bien supporté les coups du sort. »
Sean J. Rose