« Il faut que les vivants aient en eux la force de crier à la place de ceux qui sont morts. » Telle est la philosophie de Bakhtiar Ali, qui se saisit de sa plume pour faire connaître sa culture et ses blessures. Né dans le Kurdistan irakien, en 1966, il vit à Cologne. L'auteur est traduit pour la première fois en français mais, au Moyen-Orient, sa réputation n'est plus à prouver. « Etre maître du monde, c'est l'écouter et le comprendre. » Mais que faire quand il est plongé dans la folie de guerres intestines ? Ali les affronte à travers l'histoire d'êtres « de verre, dans un pays de verre, qui vécurent à une époque de verre ». Muzafari vient de passer vingt et un ans en prison. Une traversée du désert qui l'a presque brisé. « J'appartenais à une géographie vide... » Tellement vide de sens, que le mot liberté n'y signifie rien, si ce n'est l'espoir de trouver Saryas, ce fils qu'il n'a jamais connu.
Cette quête se confond avec des contes ancestraux, dans lesquels cet Ulysse égaré va croiser la route de personnages admirables. Parmi eux, Mohammad, « artiste de l'ouverture des secrets. Il a été le gardien des clefs de toutes les portes difficiles. » Son plus grand rêve est de conquérir le cœur de deux sœurs solitaires. Les Spi sont toutefois unies par un pacte crucial. Avec leurs cheveux « d'une longueur infinie », elles semblent tout droit sorties de la bouche de Shérérazade ou de Gabriel García Márquez. « Dans le monde des petites gens blessés comme vous et moi, chacun sait très vite s'il est fait ou non pour l'amour. » Mais sur cette terre, où règnent la terreur et la guerre, les sœurs « voulaient vivre en dehors du monde, en dehors des bagarres et de la politique. » Quel est leur lien avec Saryas, le fils disparu de Muzafari ? Est-ce lui qui gît dans une tombe ou lui qui frôle la folie dans une « citadelle » cruelle ? Leurs noms n'apparaissent « sur aucune page de l'histoire de ce pays... », pourtant ils renferment l'âme du Kurdistan. Celle-ci s'engouffre dans les brèches ouvertes par l'amour, l'amitié ou l'espoir. « La vie est une lumière enfermée à l'intérieur d'un coffre. La vie est un bonheur qui, quand tu l'ouvres, est rempli de souffrances. » A l'instar du dernier grenadier, source de souhaits, de murmures et d'apaisements. Bakhtiar Ali écrit : « Je ne suis ni un chasseur de vérité ni un chasseur d'histoire... je veux juste vivre ma liberté. » Celle d'être un conteur envoûtant et lyrique, faisant naître des étincelles de beauté au milieu des ruines. « Comment faire pour redevenir un petit être humain ? »
Le dernier grenadier du monde - Traduit du kurde (sorani) par Sandrine Traïdia
Métailié
Tirage: 5 000 EX.
Prix: 22 euros ; 336 p.
ISBN: 979-10-226-0879-4