Comment fonctionnent les algorithmes de recommandation de livres ?
N'ayant pas mis les mains sous le capot, je ne peux qu'imaginer leur fonctionnement. Sur une plateforme de vente de livres en ligne, un premier algorithme d'apprentissage machine (ou machine learning) dit de catégorisation, classe les utilisateurs selon leur profil statique et leur profil dynamique. Le profil statique contient l'ensemble des informations fournies explicitement par l'utilisateur lors de son enregistrement, comme son âge, son genre ainsi que ses préférences de lecture (science-fiction, essais, BD...). Le profil dynamique contient l'ensemble des informations liées à son comportement sur la plateforme, comme les types de livres qu'il achète (format poche ou broché, fiction ou essai, type de littérature - comédie romantique, classique, théâtre... -, sa fréquence d'achat, ou encore le type de livre sur lequel il s'arrête sur la plateforme. À partir de ces informations, l'algorithme de catégorisation va construire des classes d'utilisateurs selon une similarité statistique dans leurs profils statique et -dynamique.
En retour, un algorithme dit de recommandation va donc recommander à un nouvel utilisateur, dont on connaîtra la classe à partir de la projection de ses data dans l'espace des classes, un livre qu'un autre utilisateur de sa classe a aimé avec l'idée, en théorie, qu'il l'aimera aussi. Il faut ajouter à cela une composante algorithme dite explicite, qui va interférer avec les résultats de l'algorithme de catégorisation en filtrant les résultats. Par exemple, si l'utilisateur ne souhaite pas lire de romans, il y aura peu de probabilités que l'algorithme lui en suggère.
Le rôle des algorithmes est-il un simple reflet des tendances, ou influence-t-il activement les choix des lecteurs ?
Certainement les deux ! En pratique, et de façon explicite, les livres qui se vendent le plus vont possiblement être davantage mis en avant sur la plateforme, peu importe la classe à laquelle appartient l'utilisateur ou les préférences de lecture qu'il a spécifiées lors de son enregistrement. À cela, il faut ajouter qu'il y a ici une sorte de cercle qui se crée : plus un livre est recommandé, plus il est vu et acheté, et donc plus il est recommandé par la suite. En cela, la manière dont les algorithmes de recommandation sont conçus doit prendre en compte cet effet par l'introduction de poids statistique sur les résultats de la suggestion ou par l'influence directe du fonctionnement de l'algorithme.
Quels sont les avantages et les inconvénients des algorithmes de recommandation ?
L'avantage est d'avoir des recommandations personnalisées à partir de données comportementales de l'utilisateur en laissant l'algorithme capturer des signaux forts et faibles de ses préférences de lecture. Cela étant dit, ces algorithmes - quand ils sont moyennement bien conçus ou quand ils soutiennent un modèle économique d'achat impulsif sans stratégie de -satisfaction profonde - peuvent empêcher la découverte par la -surprise ou enfermer les utilisateurs dans des bulles de lecture. En pratique, le lecteur se verra recommander majoritairement des livres que les lecteurs qui lui ressemblent lisent.
L'analyse des ventes -risque-t-elle de mettre à mal la diversité éditoriale ?
Cet effet a toujours existé et n'est pas propre aux recommandations algorithmiques. Ce que je trouve intéressant dans les algorithmes, c'est l'analyse des préférences et des comportements des lecteurs pour comprendre certains succès ou certains ratages. Mais il ne faudrait pas que les éditeurs et les libraires prennent moins de risques au regard d'une machinerie algorithmique qui guiderait les préférences des lecteurs et donc les ventes futures.
Les algorithmes ont-ils tendance à favoriser les gros vendeurs ou à aider l'émergence des petits ?
Difficile à dire. Je ne pourrais pas me prononcer sur ce point. En pratique, si un algorithme conçu plus simplement met en avant des grosses ventes sans aller chercher plus loin dans la personnalisation de la recommandation, c'est possible.
« Les algorithmes de recommandation doivent exister en complémentarité idéale avec nos super libraires en chair et en os ! »
Comment préserver la singularité des librairies ?
Avoir les meilleurs libraires, comme les miens ! (Rire.) L'algorithme de recommandation ne sera jamais meilleur qu'un libraire avec ses émotions, son intelligence pratique et créative, son instinct et son intuition. Aussi par la maîtrise de toutes les composantes de l'intelligence que la machine, elle, ne maîtrise pas, ils surprennent régulièrement en me faisant des suggestions qui me paraissent contre-intuitives, mais qui en réalité me plaisent follement ! Mon libraire, Fred de la Librairie Tome 7 à Paris, voit toujours juste en me recommandant des romans, alors même que j'en lis peu, n'étant pas naturellement attirée par ceux-là.
Quels sont les risques d'un marché homogénéisé par l'IA ?
Empêcher l'existence de toutes formes de revirement culturel par la montée d'un style littéraire nouveau ou par un auteur inconnu du grand public. Cela étant dit, les algorithmes de recommandation peuvent aider, mais souvenons-nous bien que ces algorithmes existent pour faire fonctionner des plateformes souvent tenues par des non-libraires, qui cherchent à faire du profit sans engagement particulier vis-à-vis de la lecture (que des libraires peuvent, eux, avoir).
Les « bulles de lecture » que génèrent les algorithmes, ne risquent-elles pas, à terme, d'éteindre notre curiosité et tout ce qui nous pousse vers l'inconnu ?
C'est pour cela que les algorithmes de recommandation doivent exister en complémentarité idéale avec nos super libraires en chair et en os ! C'est aussi en cela que des émissions de radio, de télé, de podcasts et autres, ont également un bel avenir.