L’histoire des éditions Zoé est celle d’un héritage utopique hérité des années 1960. Créée en 1975, la maison fête désormais son demi-siècle d’existence, le souvenir d’une aventure née entre les quatre murs d’un garage de Genève, et le rayonnement, au fil des années, de titres devenus des succès, en France comme à l’international.
En 1975, dans le sillage des contre-cultures soixante-huitardes, Marlyse Pietri et Xavier Comtesse posent les premières pierres d’une nouvelle maison engagée : Zoé. Après le départ de Xavier Comtesse l’année suivante, Alette Avidor, Sabina Engel et Michèle Fleury rejoignent les éditions qui, pendant dix ans, fonctionnent comme un atelier de fortune, au cœur d’un garage d’un quartier résidentiel genevois. Un épisode romanesque que la fondatrice originelle détaille dans Une aventure éditoriale dans les marges (Zoé, 2000).
Une aventure éditoriale artisanale
À l’époque, le trio de collaboratrices y supervise chaque étape de production des titres, de la mise en page à la diffusion, en passant par l’impression grâce à une presse offset. Autre particularité : les éditrices refusent toute forme de hiérarchie entre elles ou entre les genres – essais, pamphlets, récits –, de leurs cinq publications annuelles.
Lancée avec les enquêtes de terrain de Nicolas Meienberg, le féminisme décomplexé d’Amélie Plume et l’intimité de femme de chambre de Madeleine Lamouille, la maison verse, dans les années 1980, dans une ligne éditoriale plus littéraire. Un tournant inauguré avec Catherine Safonoff et poursuivi avec Jean-Marc Lovay, Nicolas Bouvier et Robert Walser, qui formeront la colonne vertébrale du catalogue.
Diffusées dès le début des années 1990 par Harmonia Mundi, les éditions se frayent un chemin jusque dans les rayons des librairies françaises. Elles s’affirment avec la parution du best-seller de la Hongroise Agota Kristof, L’analphabète (2004), qui raconte la solitude de l’exilé, puis du Grand Cahier, œuvre qui conquiert l’international et établit la notoriété de l’autrice.
En 2008, Marlyse Pietri engage Caroline Coutau, passée par les éditions Labor & Fides et par Noir sur Blanc. La même année, la nouvelle éditrice accompagne la traduction de l’allemand vers le français de Maurice à la poule, œuvre de Matthias Zschokke couronnée du prix Femina étranger 2009.
« Je crois que le sujet du XXIe siècle est l’immigration »
En 2011, Caroline Coutau prend la suite de la fondatrice de la maison. Fidèle à l'héritage de sa prédécesseuse, la nouvelle directrice continue d’honorer les talents suisses et la pluralité des consonances étrangères qui traversent la région frontalière. « Je crois que le sujet du XXIe siècle est l’immigration et je suis convaincue qu’elle peut être une richesse tout court, et en tout cas une richesse pour la littérature, parce qu’elle permet de rendre plusieurs univers linguistiques perméables », raconte Caroline Coutau à Livres Hebdo.
Aujourd’hui, les éditions Zoé, constituées d’une équipe de sept collaborateurs, publient 15 grands formats et une douzaine de poches par an. Outre des collections traduites à l’instar de « Écrits d’ailleurs », qui se fait l’écho d’un « anglais métis » comme celui du sud-Africain Ivan Vladislavić, la maison fait la part belle aux auteurs patrimoniaux, à l’instar de Ramuz, Blaise Cendrars ou Gustave Roud. Côté auteurs de langue française, l’éditrice recherche des plumes « qui disent les choses telles qu’elles les sentent ».
Au premier rang de ces dernières figurent des découvertes qui ont contribué à l’identification de la maison à l’international. Elisa Shua Dusapin, par exemple, qui, avec son premier roman écrit à seulement 23 ans, Hiver à Sokcho (2016), remporte plusieurs prix, dont le prestigieux National Book Award. Plusieurs fois adaptée au théâtre, l’œuvre fait l’objet d’une adaptation cinématographique qui sortira en février. Un succès qui se confirme avec l’enthousiasme suscité par d’autres titres comme Les billes du Pachinko (2018) ou vieil incendie (2023), lauréat du prix Weple-Fondation La Poste, traduit dans une trentaine de langues.
Des succès littéraires internationaux
De la même façon, Gabriella Zalapi s’est illustrée, lors de la rentrée d’automne, avec Ilaria ou La conquête de la désobéissance, troisième volet d’une histoire familiale romanesque initiée avec Antonia (2019) et Willibald (2022). « Nous avons réimprimé Ilaria à quatre reprises et le titre s’est écoulé, depuis sa sortie, à environ 500 exemplaires chaque semaine », fait savoir Caroline Coutau, qui se remémore sa première rencontre avec l’autrice, lorsque celle-ci était d’abord une peintre « obsédée par des portraits de famille dont on ne voyait que les corps ». Préempté aux États-Unis et en Italie avant même la foire de Francfort, le titre a récemment remporté, en France, le Femina des lycéens.
« Quand nous publions des auteurs comme Gabriella, Elisa ou Agota, la langue française n’est plus un absolu. Au contraire, tout devient personnel et les lieux communs sont évités. Il y a alors une poétique, dans l’étrangeté du langage et du récit, qui permet de voir les choses que l’on connaît sous un autre jour », commente l’éditrice, qui se réjouit de voir la maison bien identifiée sur le marché international et compter comme un acteur majeur de la littérature francophone pour les éditeurs étrangers.
Une reconnaissance avérée
« Aujourd’hui, la maison a vraiment trouvé sa place en France. Elle n’est plus identifiée comme une maison suisse, mais juste comme une maison de littérature » ajoute celle qui multiplie les rendez-vous, à raison d’une fois par mois, dans l’Hexagone.
À long terme, si elle continuera de publier des écrivains de Suisse romande, de France, de Suisse allemande, d’Afrique et d’Asie, la maison entend également s’intéresser à l’italien, langue très bien maîtrisée par l’écrivain Bruno Pellegrino, éditeur chez Zoé depuis 2022. Mais avant toute lointaine projection, les éditions Zoé veulent marquer le coup de leur demi-siècle d’existence.
Outre une série de rencontres en librairies, la maison sera ainsi l’invitée d’honneur, en février, du festival Effractions à la Gaîté Lyrique (Paris), avant de poursuivre son sacre à la Comédie du livre de Montpellier en mai, puis en juin, à Vienne, à l’occasion du festival de littérature. À ces mises en lumière s’ajouteront une exposition dédiée aux Archives de Genève, dès la mi-février, et la diffusion d’un podcast sur la trajectoire de la maison, en quatre épisodes, conçu par Chahut Média.