Au fur et à mesure qu'il avance dans ce texte labyrinthique, qui digresse et vagabonde sur des sentiers parallèles, progresse à petites touches et à coups de flash-back, le lecteur est tout content de parvenir à reconstituer l'histoire principale. Celle de trois copains d'une petite ville de province, qui se connaissent depuis toujours. Deux d'entre eux, que la vie a éloignés un temps, se retrouvent dans un bar, à un moment de crise. C'est l'occasion de se raconter, de faire le point, d'envisager un très hypothétique avenir, et aussi de parler de l'absent.
Tout commence parce que Martin Leroy, 32 ans, perd à la fois sa petite amie et son boulot. Il travaillait dans une agence de voyages, mais son patron, Gérard Goulier, a vendu à un grand groupe, et, à 62 ans, envisage d'aller couler des jours heureux au grand air. Furieux, le jeune homme plutôt placide décide de s'expliquer le jour même avec son ancien boss, à son domicile. Un marteau dans son sac, à tout hasard.
Il faut dire que Martin a quelques circonstances atténuantes : il a vécu une enfance calamiteuse avec sa mère, Cathy, aimante mais complètement cinglée, qui mourra dans un hôpital psychiatrique. A 16 ans, elle a eu son fils avec un garçon de rencontre - Pascal Dupont, un libraire-rebelle -, et a été bien en peine de lui donner une éducation structurante. Pauvre vendeuse de chaussures en proie à des idées délirantes... Martin se souvient encore de leurs dernières vacances ensemble : Cathy avait décidé, afin de faire croire à leurs voisins qu'ils avaient les moyens de partir au soleil, qu'ils resteraient chez eux, sans sortir ni faire le moindre bruit, à manger des chips ! Cela s'est terminé, on s'en doute, de façon catastrophique.
Martin n'est pas un garçon rancunier, mais là, quand même, c'en est trop. Il se doit de réagir. Sauf que, lorsqu'il arrive chez son ex-patron, l'histoire bascule. Il s'enfuit, se réfugie dans un café. Où il tombe sur son vieux pote Arnaud, l'un des narrateurs de ce livre où l'auteur s'amuse avec le mode narratif, passant du il au tu, voire au vous. Rester sage est un roman doux-amer, subtil, un peu dans la lignée des premiers de Jean-Baptiste Gendarme. Et ce n'est pas un hasard : Dudek a publié des textes dans Décapage, et Gendarme est son cornac chez Alma. Ils sont de la même génération, de jeunes trentenaires qui, à défaut de changer la vie, essaient seulement de vivre la leur, du mieux possible. Désenchantés malgré eux, ils savourent les "dix mille petites choses » qui les "enchanteront encore ».
