Ce roman est tout à fait exceptionnel, à plus d’un titre. Par son aventure éditoriale, d’abord. La première version a été publiée en 1998, c’est-à-dire "à chaud" par rapport à l’histoire qu’il raconte, sur un blog aujourd’hui disparu, Paradis des hommes et garçons chinois. Elle était signée par un certain Bei Tong, installé à New York, dont l’identité et le sexe n’ont jamais été dévoilés. Il se fait aussi appeler Beijing Tongzhi ("Camarade de Pékin"), Xiao He, Mlle Wang ou Linghui. Mais son traducteur américain, Scott E. Myers, qui postface le livre, laisse entendre que le romancier serait une romancière. Etant donné son sujet, Camarades de Pékin, pionnier de la littérature gay en Chine continentale, a fait l’effet d’un pavé dans la mare : non seulement il met en mots, de façon explicite, des scènes de sexe entre garçons, mais une partie traite des événements de la place Tian’anmen, en 1989, auxquels l’un des héros, le jeune Lan Yu, participe. Il raconte à son ami, Chen Handong, la féroce répression qui s’ensuivit.
L’édition papier du livre, expurgée de toutes les scènes "érotiques", est parue chez Tohan, à Taïwan, en 2002. Un film en avait été tiré, non autorisé, Lan Yu, par le cinéaste hongkongais Stanley Kwan. Enfin, en 2002 toujours, Bei Tong a publié une version définitive de son livre, considérablement augmentée, pensant qu’il pourrait être officiellement publié en Chine. En vain. Scott E. Myers, pour l’édition américaine, a réalisé un "mix" des trois versions, et c’est à partir de celui-ci que l’édition française a été traduite.
Nous sommes donc en 1987, à Pékin. Chen Handong, un "Petit prince rouge", fils d’un haut cadre du Parti, fait la connaissance, par hasard de Lan Yu. Handong, 27 ans, est un don juan cynique et méprisant, un prédateur sexuel infect et frimeur, qui a fait fortune dans les affaires. Yu, de dix ans son cadet, est un provincial vierge et pur, honnête, droit et pauvre, "monté" faire des études d’architecture à la capitale. Entre eux, c’est un véritable coup de foudre. Et commence une histoire d’amour, "une relation illicite, un plaisir secret volé dans la nuit", qui va durer dix ans et connaître un grand nombre de rebondissements, de bonheurs et de chagrins, impossibles à résumer ici.
La fin, en revanche, est tragique : Lan Yu ("Bleu Ciel") meurt dans un accident de voiture, alors que Chen Handong, enfin, avait décidé de sauter le pas, de s’assumer, et quasiment de l’épouser. Trois ans après, vivant à Vancouver, remarié et père d’une fille, il décide de raconter leur histoire, sans fard, à la première personne. Au passage, il dénonce aussi les pesanteurs et les tabous de son pays. Révolutionnaire. J.-C. P.