De quoi va-t-il nous parler ? Quelle idée loufoque lui a encore traversé l'esprit ? On ouvre toujours un livre de Pierre Bayard avec un mélange de curiosité et de gourmandise. Car sous couvert de nous expliquer Comment améliorer les œuvres ratées ? (Minuit, 2000) ou Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? (Minuit, 2007), ce professeur de littérature (Paris-8 Vincennes-Saint-Denis) et psychanalyste dévoile les mystères de la narration.
De mystère il est évidemment question dans La vérité sur "Dix petits nègres". Pierre Bayard, qui avait déjà revisité un autre roman d'Agatha Christie dans Qui a tué Roger Ackroyd ? (Minuit, 1998), n'est pas convaincu par la solution de l'énigme donnée par l'auteure. Trop d'invraisemblances, trop d'incohérences, trop d'incomplétudes.
Pour mener l'enquête, il donne la parole à un personnage - celui qu'il identifie comme le véritable assassin - qui reprend le récit point par point. Pierre Bayard considère en effet que les histoires vivent indépendamment de leurs auteurs, qu'elles leur échappent, et que les protagonistes qui s'y meuvent ont leur mot à dire. « Certains lecteurs trop rationnels s'étonneront peut-être qu'un personnage sorte ainsi d'une œuvre pour apporter son témoignage sur les événements dont il a été acteur. » Pas lui.
Ce témoin hors norme se montre très informé des théories littéraires. « Est-il nécessaire de préciser que je me reconnais pleinement dans les théories intégrationnistes, et, à l'intérieur de ce groupe, dans ceux qui, comme Pierre Bayard, prônent l'autonomie du personnage, à la fois de conscience et d'action ? » Il s'avère aussi très calé en matière de polar, notamment sur les techniques mises en place par l'Américain John Dickson Carr (1906-1977), le spécialiste du meurtre en chambre close, à qui il dédie cette enquête. « La tempête, en effet, fonctionne dans le roman comme un verrou qui viendrait refermer peu à peu la chambre du crime. » L'île devient un
espace clos. Agatha Christie aurait elle-même été aveuglée par des illusions d'optique mises en place par ces « êtres récits ». La clé invisible de cette histoire réside dans la certitude que l'assassin s'est échappé vivant de l'île et qu'il n'a jamais été soupçonné par les lecteurs et les critiques pendant des décennies.
Près d'un siècle après sa parution, Pierre Bayard révèle le nom de l'assassin. La lecture qu'il propose est d'autant plus fascinante qu'elle se tient. Derrière cette belle leçon, il vient d'écrire son premier roman policier.
La vérité sur “Dix petits nègres”
Minuit
Tirage: 5 200 ex.
Prix: 16 euros ; 176 p.
ISBN: 9782707344885