"Commençons par un florilège sur les avantages du livre dématérialisé multisupport : "Il ne tient pas de place..." (mais ne tient pas non plus compagnie), "il est pratique..." (mais se casse, se décharge, s'ensable, etc.), "il propose 10 000 livres..." (mais combien un lecteur moyen en lit-il par an ?), "il est mobile..." (mais empêche le changement de supports, même les siens, DRM oblige), "il est vecteur de culture..." (mais peut-on encore lire une disquette aujourd'hui - c'est quoi ça ?), "il se partage..." (mais le lecteur sait-il bien que demain le prêt de son livre préféré sera assimilé à un acte de piratage ?). La liste est facile à compléter.
Editeurs, auteurs, lecteurs ne sont pas satisfaits des perspectives ouvertes par le numérique (et imposées par... Google ?) ; alors pourquoi s'obstiner quand une paisible cohabitation du livre et du livre sur liseuses (on n'est pas à quelques néologismes ridicules près) est possible et non une substitution comme on se plaît à l'annoncer - en vain pour le moment.
Cohabiter paisiblement alors qu'on parle volontiers de la "bataille du numérique", l'idée n'est-elle pas révolutionnaire ? Sans doute, s'il s'agit de ne plus "s'écraser" devant le e-book et consorts, mais bien d'affirmer à nouveau au lecteur que le livre papier est un objet particulier, connu, essentiel au loisir et à la culture - au bonheur en somme. Pour ou contre le numérique, la problématique n'a aucun sens. Chaque lecteur doit pouvoir faire son choix tranquillement dans une offre élargie : tel livre ici, tel autre (numérique) là - avec ses propres titres - à la condition que le livre papier tienne sa place ou la réinvente. Il n'y a pas d'antinomie entre les différents supports. Il est temps de réagir. Les éditeurs - ceux qui le peuvent - vont-ils continuer à dépenser leur argent en pure perte dans le numérique ? Car ils sont en train de perdre du terrain, erreur de tactique.
Pour rester visibles demain, ce n'est pas la numérisation à tout-va qui va le leur permettre, mais leur image de marque aujourd'hui...
Bref, je propose d'interrompre la bataille contre les moulins à vent numériques pour se recentrer sur le métier d'éditeur, c'est-à-dire sur la qualité de ce qui est proposé aux lecteurs : en recréant de véritables emplois d'éditeurs, premiers défenseurs (en interne) de la ligne éditoriale de leur maison et en informant (haut et fort) le public du travail accompli par les éditeurs professionnels pour lui offrir un bon livre comme on fait une campagne pour le retour du lapin dans nos assiettes."