Histoire/Royaune-Uni 19 sept. Neil MacGregor

Il n’y a qu’un Anglais qui pouvait inventer un machin pareil, à la fois bibliquement simple, génialement sophistiqué, et avec tant de contraintes que les membres de l’Oulipo eux-mêmes auraient été à la peine. Qu’on en juge.

En 2010, un certain Mark Damazer, contrôleur à Radio 4, une chaîne de la BBC, a proposé à Neil MacGregor, une sommité en matière d’histoire de l’art, directeur du British Museum depuis 2002 après avoir cornaqué la National Gallery durant quinze ans, une série d’émissions qui raconteraient, à travers 100 objets emblématiques des collections de l’illustre musée (fondé en 1753 par le Parlement), couvrant toute l’histoire de l’humanité depuis deux millions d’années jusqu’à nos jours, et provenant de toutes les civilisations de façon si possible équitable, rien de moins que toute l’histoire du monde.

Les émissions seraient diffusées chaque jour ouvrable, durant vingt semaines, conçues de façon à la fois chronologique – sauf la première, consacrée à la momie du noble égyptien Hornedjitef, suivie par le chopper (hachoir) d’Olduvai, qui remonte environ à deux millions d’années – et thématique (« Premières cités, premiers Etats » ou « Tolérance et intolérance », par exemple), dans une perspective historique extrêmement moderne dans ses analyses, interdisciplinaire, et avec un grand nombre d’intervenants internationaux à l’antenne, soit les meilleurs spécialistes du sujet, soit des témoins capitaux?: ainsi la Kényane Wangari Maathai, prix Nobel de la paix, sur le fameux hachoir, ou encore l’archevêque de Cantorbéry. Le tout, à destination du grand public, raconté sur un mode aussi érudit que pédagogique et, ce qui ne gâte rien, avec cet inégalable soupçon d’humour si british. Enfin, ultime gageure et non des moindres, comme on était à la radio, impossible de montrer les artefacts. Tout le talent de MacGregor et de ses camarades consistait à les rendre visuels, concrets, présents. Quitte à ce qu’après l’amateur aille les retrouver dans les collections du British Museum.

L’entreprise a réussi et donné lieu à une déclinaison en livre, parue dès 2010 chez Allen Lane, puis chez Penguin en 2012, laquelle nous parvient aujourd’hui en français. C’est une pure merveille, d’autant que, cette fois, sur papier, les fameux 100 objets, de la momie d’Hornedjitef, prêtre au temple d’Amon à Karnak sous le règne du pharaon Ptolémée III Evergète (IIIe siècle de notre ère), jusqu’à une lampe et un chargeur à énergie solaire fabriqués à Shenzhen, en Chine, en 2010, objet modeste mais qui pourrait révolutionner le monde dans un avenir proche, sont photographiés en couleurs. Là encore, ce décloisonnement des disciplines et cette ouverture d’esprit sont typiquement anglais.

Ce gros pavé est un bonheur, un puits infini de culture et passionnant comme un roman d’aventures. Qu’attendent France Culture et le Louvre pour concevoir son homologue français??

Neil MacGregor
Une histoire du monde en 100 objets
Les Belles Lettres
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 23,90 euros ; 864 p.
ISBN: 978-2-251-44835-0

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