Créé en 1821, le Guardian est un journal historique et de référence au Royaume-Uni, celui de l'intelligentsia, plutôt positionné à gauche. Ce positionnement clair et cette réputation de qualité ne l'ont pas empêché de subir de plein fouet la crise de la presse écrite : sa diffusion a chuté, passant de 380 000 exemplaires il y a à peine quelques années à 264 000 aujourd'hui. En revanche, le site internet commun avec l'autre titre du groupe, l'hebdomadaire l' Observer qui parait le dimanche, affiche une fréquentation insolente de l'ordre de 50 millions de visiteurs uniques mensuels. On apprenait récemment que le Guardian va se transformer en inventant une articulation nouvelle entre sa version papier et sa version numérique. D'un côté, le papier conservera des articles longs, plus fouillés ; il deviendra la vitrine, la face de qualité du journal britannique. Le journal papier sera court, avec une pagination réduite, mais professionnel, argumenté, incisif. La stratégie nouvelle peut se résumer en ces termes : un nombre moindre de pages mais des articles plus longs, une plus faible quantité mais une amélioration de la qualité de la version papier, et, en contrepoint, une version numérique plus immédiate et interactive. Comment valoriser ce nouveau modèle ? Sur le numérique, deux formules cohabiteront conformément au modèle qui tend à s'imposer dans la musique comme dans la presse : le gratuit pour une offre de moindre ampleur et de moindre qualité, et le payant pour des contenus premium ou à la carte. Les deux titres du groupe britannique sont concernés : l' Observer et le Guardian . Tandis qu'Andrew Miller, directeur du groupe, a déclarait que «  tous nos efforts et nos investissements vont porter sur le numérique, car c'est notre avenir  », le rédacteur en chef du quotidien, Alan Rusbridger, émettait le vœu que le journal se saisisse de « la philosophie ouverte du numérique » qui implique d'intégrer des contributions qui vont au-delà du cercle des journalistes professionnels. En d'autres termes, on fera appel à des bloggeurs, et on jouera sur l'interactivité afin de doper le nombre des visites. Le tournant est un peu forcé par les résultats du groupe, qui a dû se séparer de ses journaux régionaux en 2010. Le chiffre d'affaires a décru, passant de 221 millions de livres en 2009 à 198 millions (soit 249 à 223 M€) en 2010, du fait de la baisse des rentrées publicitaires. Malgré les rumeurs, il ne semble pas envisagé de licenciements parmi les 630 journalistes et les 1 500 employés du groupe, et le budget éditorial ne devrait pas être réduit, du moins à court terme. Mais la création d'une édition numérique américaine devra être financée à partir des budgets existants. Le journal espère tirer 100 millions de £ (112 M€) de revenus par an de son activité numérique d'ici 2016 ; l'activité rapporte à l'heure actuelle un peu moins de la moitié de cette somme (47 millions de £, soit 52,6 M€). Pour doper les résultats le groupe envisage de renforcer ou créer des activités rentables mais sans nul doute moins haut de gamme que le journal : site de rencontres, site de recrutement, petites annonces. Il me semble qu'il faut tirer au moins deux leçons de cette évolution du Guardian . En premier lieu, il faut reconnaitre qu'il ne s'agit jamais que d'une adaptation très pragmatique aux pratiques effectives : le lecteur de la presse consulte les news sur son portable à toute heure, et lit les articles de fond en décalé. Il attend des fonctionnalités nouvelles des sites internet. Deuxièmement, On voit se préparer un changement profond : une inversion de priorité entre le papier et le numérique. Sur ces deux registres, celui de l'enrichissement des « contenus » et du rythme des différentes catégories de lecture, et celui des investissements respectifs à consentir pour le numérique et le papier, l'expérience menée par le Guardian devra être regardée de près par les éditeurs de livres.  
15.10 2013

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