Aujourd'hui la Syrie, le Yémen, hier l'Irak, l'Afghanistan, le Liban... et toujours en toile de fond le conflit israélo-palestinien, une lutte d'influence sans merci entre l'Arabie saoudite sunnite et l'Iran chiite, les Arabes et les Persans... Dire que la situation au Moyen-Orient n'est pas simple relève de la litote. Le chaudron de la région bout et l'islam radical attise les braises, perpétrant de meurtrières déflagrations de par le monde.
Fin 2010, un jeune marchand ambulant désespéré s'immole par le feu à Sidi Bouzid en Tunisie, des manifestations se succèdent dans tout le pays, qui poussent le président Ben Ali à s'enfuir. En Egypte, le « happening permanent » de dix-huit jours d'occupation de la place Tahir au Caire précipite à son tour la chute du raïs Moubarak, le 11 février 2011. Il souffle comme un vent de liberté sur les pays arabes - c'est une « révolution 2.0 » qui se veut non violente, l'espoir se lève, on appellera cette vague de soulèvements populaires pour la démocratie les « printemps arabes ». On s'est réjoui trop tôt : la dynamique révolutionnaire, cette colère légitime de la population contre le pouvoir corrompu de ces Etats nationalistes plus ou moins laïques, est récupérée par le salafisme et autres mouvances islamistes prônant le jihad, contre les infidèles occidentaux et les « mauvais musulmans ».
Du chaos né des renversements de régimes, parfois provoqués par l'Occident, comme « la guerre contre la terreur » de Bush en Irak, se repaît l'islamisme. Le 13 avril est proclamé l'« Etat islamique en Irak et au Shâm (Levant) », alias Daesh. Ce « califat islamique » aura été une conséquence paradoxale, terrifiante de ces printemps qui n'ont pas apporté leurs fruits démocratiques, comme le montre bien Gilles Kepel dans Sortir du chaos : les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient. Bien plus qu'un état des lieux, il s'agit d'une généalogie de l'islamisation. C'est que le panarabisme séculier - le parti Baath, « parti socialiste de la résurrection arabe », en Syrie avec le clan Assad, en Iraq sous Saddam Hussein, ou le nassérisme dans l'Egypte de l'éponyme héros de la nationalisation du Canal de Suez - a failli.
Avec la guerre d'octobre 1973, dite « du Kippour » ou « du Ramadan », qui opposa Israël à une coalition syro-égyptienne, le prix du pétrole flambe, l'Arabie saoudite et ses voisins de la péninsule arabique, champions du wahhabisme, en profitent : « Les pétromonarchies vont désormais consolider leur domination en utilisant leur fortune que l'envolée des cours rend fabuleuse pour financer la diffusion partout dans le monde sunnite d'une idéologie rigoriste et conservatrice. Mais il leur sera difficile de faire rentrer le génie du
jihad dans sa bouteille une fois sorti, et ils seront à leur tour victimes de celui-ci. »
Même cécité, côté américain. Encore dans la logique de la guerre froide et obnubilés par le régime de l'ayatollah Khomeini, les Etats-Unis arment les mudjahidin en Afghanistan contre les Soviétiques, jouent au docteur Frankenstein et favorisent al-Qaida. Le contexte a changé : fin du multilatéralisme avec Donald Trump, et zeitgeist mondial du populisme. Mais le Moyen-Orient brûle toujours. Sortir du chaos ? Inch'allah.
Sortir du chaos : les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient
Gallimard
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 22 euros ; 528 p.
ISBN: 9782072770470