Il n’y a pas de fils unique. Chaque petit garçon que l’état-civil réduit à sa singularité sait que celle-ci est fallacieuse et qu’existe quelque part, sur un écran ou au détour d’une page, le frère et le héros que réclame sa solitude. Au cœur des années 1960, David Bergelson, fils d’Isaac et d’Hannah, a trouvé ce frère d’élection. Il est aussi blond que lui est brun, a vécu plus de mille vies tandis que David s’autorise à peine à commencer de vivre, il monte divinement à cheval, est un émérite tireur au pistolet, pilote les engins les plus puissants. C’est un mauvais garçon qui ne se reconnaît ni dieu ni maître (ni père). David est un enfant juif ashkénaze indécis que l’étude de la Torah, chaque dimanche matin en la synagogue de la rue Vauquelin, ennuie. Surtout que c’est l’heure où passent à la télévision les aventures de Josh Randall, le héros d’Au nom de la loi, premier grand rôle de ce frère qu’il s’est choisi, Steve McQueen. « J’avais trouvé bien plus de réponses dans La grande évasion, et ouvert grâce au film bien plus de portes que dans les premières pages de la Genèse telles qu’on nous en faisait l’exégèse. Si la Torah dit tout sur tout, qu’a-t-elle à apporter sur Steve McQueen ? »
C’est pour répondre à cette question, peut-être, que Samuel Blumenfeld a écrit son premier roman, Au nom de la Loi. On sait depuis la publication de L’homme qui voulait être prince (Grasset, 2006), magnifique enquête sur les traces d’un imposteur « bigger than life », combien les embarras identitaires sont au cœur du travail de Blumenfeld, au cœur d’une interrogation moderne sur la judaïté. Ces thèmes sont ici présents, mais réorchestrés en fonction d’un ordre autobiographique, celui d’un récit de formation où dans la sainte Trinité, aux côtés du père et du fils, Steve McQueen tiendrait le rôle du Saint-Esprit… C’est la France des Trente Glorieuses, ses rêves de grandeur bafoués, qui revit au fil de ces pages, ainsi que le mystère qui permet à un enfant qui n’a rien vu ni vécu de considérer que n’importe quel héros, idéal érotique du moi, ne s’adresse qu’à lui. Ne regarde que lui.
Olivier Mony