Cécile Boyer-Runge

"Le livre de poche reste un objet très moderne"

Des silhouettes issues de l'un des premiers catalogues de la maison sont déclinées sur le matériel de promotion. - Photo OLIVIER DION

"Le livre de poche reste un objet très moderne"

Les premiers titres du Livre de poche ont paru en février 1953, inaugurant un format réduit à petit prix qui allait bouleverser le marché du livre. Soixante ans plus tard, Cécile Boyer-Runge, sa directrice générale, fait le point sur un secteur qui résiste encore à la crise mais doit s'adapter aux évolutions économiques et technologiques.

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avec Créé le 15.04.2015 à 21h00

Livres Hebdo - Comment situez-vous Le Livre de poche dans le paysage éditorial ?

Cécile Boyer-Runge - Nous sommes l'éditeur populaire de qualité. Notre nom compte beaucoup : Le Livre de poche, c'est une évidence familière, un compagnon qu'on a plaisir à retrouver, avec lequel on a peut-être eu ses premières émotions de lecture. C'est le premier éditeur de poche, historiquement, et il l'est resté, en tenant compte évidemment du marché du livre aujourd'hui. Il est né au milieu du XXe siècle, d'une idée pionnière menée à bien grâce à la complicité de grands éditeurs. Les critiques de départ ont été balayées par la force commerciale évidente du Livre de poche, qui a aussi représenté une forme de modernité du livre : l'effervescence promotionnelle était présente dès l'origine.

Mais aujourd'hui, comment vous positionnez-vous par rapport aux autres maisons ?

J'ai envie de dire que ce sont les autres éditeurs qui ont dû se positionner par rapport au Livre de poche ! Je revendique un catalogue diversifié, sur toutes les dimensions du champ éditorial. Nous disposons aussi, du fait de notre histoire, d'un fonds important, puisque nous réalisons plus de 50 % de notre activité avec des livres qui ont plus d'un an d'exploitation. Les trésors de cette bibliothèque idéale, il faut les mettre en vie de façon permanente tout en s'adressant au plus grand nombre. A côté de nouveautés fortes, le domaine classique est une sorte de colonne vertébrale. Quand je suis arrivée, j'ai trouvé ça vertigineux : comment faire cohabiter Maurice Leblanc, Ken Follett et Tolstoï ? Puis j'ai réalisé à quel point la marque était prééminente et la présence du logo décisive.

Comment imaginez-vous Le Livre de poche dans... soixante ans ?

Moderne, créatif, fidèle à ses valeurs d'origine, bien dans son temps. Je pense que Le Livre de poche conservera sa place car il a de nombreuses qualités objectives : un petit format, un caractère non intimidant, un prix abordable pour tous - bien loin de celui d'une liseuse et de fichiers -, nul besoin de batterie... Il y aura probablement une plus grande cohabitation avec les supports numériques et il faut être très attentif à ces perspectives d'évolution. Aux Etats-Unis, le numérique semble actuellement marquer une pause. Nous, en France, nous avons la chance d'avoir de nombreuses librairies. Il faut absolument les encourager. Elles ont besoin de nous et nous avons besoin d'elles.

Le poche a marqué le pas en 2012, alors qu'il s'était jusque-là montré résistant face à la crise, notamment grâce à son prix. Quelle analyse faites-vous du marché ?

Il est difficile de porter un regard sur 2012 pour le marché français. Une année électorale est toujours compliquée à gérer pour les éditeurs, beaucoup ont décalé leurs nouveautés au second semestre. Par ailleurs, la crise économique actuelle se traduit par une certaine réticence à consommer et une propension à épargner. Les choses se normaliseront probablement dans les mois et les années qui viennent. Mais la librairie a souffert d'un manque de fréquentation. Quand il n'y a personne, il n'y a plus d'achat d'impulsion, même en poche ! Par ailleurs, l'offre numérique s'étoffe, les prix baissent. Tous ces faits viennent certainement en concurrence avec le poche qui, il est vrai, bénéficiait d'une exclusivité en termes de prix de vente.

Le Livre de poche a été beaucoup moins présent dans les meilleures ventes en 2012. A quoi attribuez-vous ce recul ?

Après quelques années de croissance ininterrompue, 2011 a été historique avec un nombre exceptionnel de best-sellers, notamment Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi de Katherine Pancol, mais aussi les nouveautés de Ken Follett, Dan Brown, Katharina Hagena, Tatiana de Rosnay... et bien d'autres. En 2012, nous avons moins de titres présents dans le Top 25 qui, rappelons-le, représente moins de 10 % des ventes de livres au format de poche. Saluons toutefois les très beaux succès de Ken Follett, Mary Higgins Clark, R. J. Ellory, Sofi Oksanen, Jean-Michel Guenassia, Umberto Eco... pour ne citer qu'eux. Malgré un contexte de consommation ralentie, je suis confiante dans le programme éditorial et le dispositif commercial 2013 du Livre de poche.

Comment les éditeurs de poche peuvent-ils compter dans l'univers numérique, sachant qu'ils n'ont pas les droits premiers et dépendent de la stratégie des groupes auxquels ils appartiennent ?

Nous constituons notre propre catalogue numérique : "Ebook du Livre de poche". Au premier trimestre 2013, nous aurons près de 500 titres numérisés, essentiellement des classiques avec appareil critique, mais aussi de la littérature, du pratique, des thrillers, de la fantasy... Nous avons aussi des inédits et des traductions qui nous appartiennent. Nos prix de vente sont ceux du livre papier, sauf promotion particulière. Mais nous sommes déjà extrêmement présents sur Internet, par les réseaux sociaux, la newsletter mensuelle, notre récent concours de nouvelles numériques... Le Net est capital pour la promotion et la communication vers nos lecteurs. Sur notre site du prix des Lecteurs du Livre de poche, les gens se parlent, échangent. La « tweet nouvelle" lancée par Maxime Chattam en novembre a connu un franc succès auprès du grand public grâce aux réseaux sociaux et aux blogueurs. Le bouche-à-oreille passe désormais par Internet.

Mais les moyens dont vous disposez ne sont pas extensibles...

Je me suis employée à faire en sorte que le numérique soit intégré dans nos méthodes de travail quotidiennes et nous travaillons étroitement avec le diffuseur numérique chez Hachette. Nos titres numériques se vendent à quelques milliers d'exemplaires, mais nous avons aussi de vrais succès, comme la nouvelle inédite de Stefan Zweig, L'égaré, ou bien Ne le dis pas à maman de Toni Maguire, dont nous avons acquis les droits. Nous restons un éditeur second, sans ambiguïté. Pour autant, nous avons des atouts à faire valoir : un réel savoir-faire marketing et la mise en valeur de nos titres. Quand j'ai commencé au Livre de poche, il y a sept ans, on prédisait la mort du poche d'ici deux à trois ans. Or nous n'avons pas disparu ! Il y a toujours des lecteurs et surtout des acheteurs, et les grands succès des éditeurs "grand format" font les beaux succès du poche. Avec le numérique, cela fait des mois que l'on se fait des frayeurs avant d'avoir mal. Soyons lucides : les ventes sont encore epsilonesques. Oui, il faut être curieux et proactif. Mais je persiste à penser que le livre de poche reste un objet très moderne.

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