Depuis son premier roman, Le soupirant (Lattès, 2001), Isabelle Minière a publié chez différents éditeurs (Le Dilettante, D’un noir si bleu, Le Jasmin…) une quinzaine de romans, souvent courts, des nouvelles et des livres pour enfants. Chez Serge Safran éditeur, qui l’accueille pour la première fois, l’écrivaine, qui sait raconter doucement de discrètes tragédies, donne voix à un très touchant antihéros dont la présence flotte longtemps.
Le roman nous invite à passer quelques jours avec Grégoire, qui aime se coucher de bonne heure, aller au cinéma pour s’extasier devant de beaux paysages, préparer soigneusement des repas équilibrés à sa bien-aimée, Agathe, professeure de philosophie. Employé consciencieux dans une usine, c’est un gentil que rien ne dérange. Un innocent qui ne pense jamais à mal. Un garçon simple. Si accommodant, si consentant qu’il finit par en devenir inquiétant.
Alors que "le président" vient de mourir, qu’un film, Les bêtes sauvages, jugé trop violent, risque d’être censuré, on vit dans la routine de Grégoire, amoureux maternant d’Agathe dont il décode l’humeur dans les plissements de "ses yeux de petit écureuil curieux". Grégoire n’est pas bavard, il acquiesce. "T’es pas d’accord ?" lui demande sa compagne. Et Grégoire est toujours d’accord. Il ne veut pas contrarier. "On ne nous apprend pas à parler de nous ; il y a des choses, si on ne les a pas apprises assez tôt, on se sent vite trop vieux pour commencer." Il se souvient de sa mère qui l’a élevé seule et lui disait souvent qu’il était "mignon", "très sensible" et "sauvage", aussi. Et de la voisine qui le gardait quand il était enfant, avec qui il a appris l’allemand.
Toute la réalité est vue ainsi à travers la logique de ce garçon qui préfère les points de suspension aux points d’exclamation, dans le monde de Grégoire, dans son ordre des choses. On est littéralement à l’intérieur de ses obsessions, en apparence inoffensives - qu’Agathe se repose, qu’Agathe se nourrisse correctement -, de ses pensées décalées, si légèrement désaccordées, qu’il accueille avec ce calme étale, ce "naturel" qui a séduit la professeure de philosophie. Sa drôlerie involontaire serre peu à peu le cœur. Et il est bien difficile de ne pas tomber, avec Agathe, sous son charme mutique.
Véronique Rossignol