Virgile est un classique, et comme nombre de classiques, très connu mais plus forcément lu. Ce poète qui vécut à la fin de la République et au début du règne de l'empereur Auguste a pourtant été longtemps considéré comme le parangon des lettres latines. Poète du mythe fondateur de Rome, l'Enéide, il est également l'auteur des Bucoliques, un recueil de dix scènes versifiées dans la veine pastorale, et des Géorgiques, poème didactique sur la culture de la terre. Des vignes aux ruches en passant par le blé ou l'élevage, y sont abordés différents aspects de la res rustica, la « matière agricole », mais plus qu'un traité d'agronomie, c'est un chant du monde. S'il dit de quelle manière cultiver le raisin : « Fendre le sol entièrement, tous les ans ou quatre fois/toujours briser la glèbe à coups de hoyau/Eclaircir le feuillage... » Virgile célèbre surtout la beauté de la nature et le passage des saisons.
Ce sont les quatre livres qui forment le poème virgilien que Frédéric Boyer a choisi de retraduire sous le titre Le souci de la terre, en lui réinsufflant une fraîcheur toute contemporaine, grâce à une écriture aérienne et vibratile. Dans « Faire Virgile », sa préface, l'écrivain à qui l'on doit de belles retraductions, notamment Les aveux de saint Augustin (P.O.L, 2008), souligne combien Virgile se fait ici le poète de l'environnement dans ses merveilles les plus infimes, dans sa fragilité la plus flagrante : « Brassées craquantes de frêles tiges du lupin. » Virgile n'exhorte pas tant à coloniser la terre qu'à l'admirer, de l'otium, ce « désœuvrement sans éclat » il fait œuvre de contemplation. Il y a quelque chose d'existentialiste avant l'heure.
Malgré les siècles, les allusions aujourd'hui absconses, Virgile nous parle encore au-delà des âges et du trépas, parle de la vie et de son envers, la mort. Et on lit cette nouvelle traduction avec une émotion particulière lorsque l'on sait que son auteur fut endeuillé dans son entreprise par les tragiques disparitions d'êtres chers, « Anne », l'amour, et « Paul », l'ami. Il y a aussi dans ce poème l'étonnante irruption du « malheureux Orphée» pleurant Eurydice, mais, nous, ne devons pleurer. Printemps éternellement recommencé- la vie renaît, même sans nous.
Le souci de la terre - Nouvelle traduction des Géorgiques par Frédéric Boyer
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 euros ; 256 p.
ISBN: 9782072840333