Une femme, deux hommes, sept livrets, 5 040 possibilités. C'est l'expérience de lecture que propose la Franco-Suisse Douna Loup dans Déployer, un livre coffret qui renferme sept cahiers - Souvenir source, Lettres de la chambre secrète, Contes, Cette nuit-là, L'île, Ici-là, Vive -, à lire dans l'ordre qui vous sied, au hasard de ces multiples combinaisons.

Elly, 36 ans, artiste peintre, est le centre de cette histoire, comme le moyeu d'une roue à sept rayons. C'est le « tourne-en-rond » d'Elly l'intranquille, qui vit avec Danis, rencontré quand ils avaient 20 ans, et leurs deux filles dans une maison au fond d'un grand jardin. Les métamorphoses d'Elly qui cherche sa liberté intérieure, tente de résoudre la quadrature du cercle : aimer et être libre. Dans la boucle, il y a Jonas, l'amant qui a semé le trouble dans la tête et le corps d'Elly, Jonas, « passion du passé », qui a disparu de sa vie et qui revient. Danis, de son côté, a eu une histoire avec V. Mais aucun des deux n'est parti. Ils ne sont pas séparés mais ont trouvé une nouvelle distance, acrobatique, et se tiennent en équilibre instable autour du « fossé qui s'était creusé toujours d'avantage au fil des années passées pourtant en osmose, bulle, cocon, petite danse quotidienne dans le nid devenu nœud ».

Déployer est une fugue sur le dilemme amoureux, les variations d'une crise, de « l'ébranlement » qui menace les trois protagonistes devant l'infidélité, la jalousie, les mensonges « tassés dans le bas du corps ». Comment supporter sa liberté et celle des autres ? Elly explore ce chemin d'acceptation de ses propres désirs et de l'altérité radicale dans la plus intime des relations. Elle écrit pour comprendre sa fascination pour le mystère de la sexualité. Cherche comment aimer en admettant ne pas connaître l'autre, comment affronter la « panique » devant l'incertitude des sentiments. C'est aussi une histoire de renoncement aux promesses. De réinvention de soi et des liens.Déployer n'a rien d'un vaudeville. L'amour n'est jamais loin de la mort. Le désir de la terreur. La peur de l'abandon de la tendresse. Les souvenirs qui remontent sont des deuils : un traumatisme d'enfance longtemps enfoui, le suicide lent d'un ami.

La langue sensuelle de Douna Loup est très physique : le corps y tient les premiers rôles, pas seulement le corps sexuel d'Elly mais aussi le corps vivant, le « cercle organe » que forme le vieux couple, son fonctionnement somatique, son interdépendance secrète. « Un couple dans son intimité quotidienne, sa proximité de chair et d'esprit, crée un espace partagé, un cercle plein, intègre, et l'on peut revendiquer ce que l'on veut de liberté, ce cercle existe et ce que chacun y fait, l'autre le sent. »

L'écrivaine et dramaturge née en 1982, auteure au Mercure de France de L'embrasure (2010), Les lignes dans ta paume (2012) et L'oragé (2015), grand prix du Roman métis, fait dire à son héroïne un peu perdue : « Ce qu'il faut savoir pour lire la suite de l'histoire, c'est que je ne connais rien à la suite de l'histoire. Et c'est cela le plus important. » C'est cette irrésolution qui attend le lecteur qui entrera dans le cercle.