15 mai > Récit Etats-Unis

A l’enterrement de son grand-père qui s’est suicidé, il pense à son cousin Jesse qui n’a pas pu être présent. Jesse qui n’arrête pas de faire des allers et retours en prison, Jesse qui a fait une overdose de méthadone cet été. Il le revoit allongé torse nu sur un lit d’hôpital avec son tatouage qui lui barre le ventre : Rez life, "Vie à la rez’". Rez, argot pour "réserve indienne". Rez life, c’est à la fois "à la maison" et "chienne de vie". David Treuer, de mère ojibwé, qui lui aussi a grandi sur l’un de ces territoires réservés aux autochtones, à Leech Lake dans le Minnesota, s’interroge : "Qu’est-ce que c’est que cet endroit, The Rez, nos réserves ? […] Que trouve-t-on derrière des panneaux qui annoncent notre existence ?"

Treuer est très critique d’une certaine "fiction indienne" qui n’a guère affaire avec la réalité. Après trois romans, il entreprend "un voyage dans l’Amérique indienne" et relate dans Indian roads ce long périple. Grandes Plaines, Nord-Ouest, Sud-Ouest, régions le long de la frontière canadienne, du Montana à New York : il existe quelque 300 réserves à travers le pays. Pourtant, on pourrait le traverser en ignorant tout de l’existence de ses premiers habitants. Les terres indiennes, c’est 2,3 % du territoire des Etats-Unis, et un peu plus deux millions d’individus sur une population qui en compte 317. Pour pallier cette ignorance, Indian roads nous plonge dans l’existence souvent misérable des Indiens - alcoolisme, drogue, violence, délinquance, business lié au jeu, chômage - mais aussi leurs traditions et leurs histoires. Sioux, Pueblos, Senecas, Apaches, Séminoles… Treuer raconte la réduction comme peau de chagrin de leurs domaines, la migration forcée (les Ho-Chunks furent soumis à neuf ordres de déplacements !), les guerres entre tribus, les alliances avec les Français ou les Britanniques durant la colonisation au XVIIIe siècle. David Treuer signe ici une contre-histoire des Etats-Unis. Alors que les Indiens "ont fourni nourriture et abri aux Pères pèlerins", les Anglo-Américains "ont donné aux Indiens des couvertures contaminées par la variole". Ces derniers ont surtout violé quasiment tous les traités qu’ils ont signés. Il y eut certes des corrections aux injustices de cette politique fédérale "entre assimilation et déplacement", notamment l’Indian Reorganization Act de 1934 sous l’impulsion du "cryptosocialiste" John Collier, commissaire aux Affaires indiennes sous Roosevelt. Ce "New Deal" indien a été le point de départ de la présente autonomie : les réserves sont régies par les lois tribales.

Indian roads, c’est enfin une histoire de résilience où se mêlent la propre histoire de son auteur et celle de son père - un Juif autrichien rescapé de la Shoah qui, dans les années 1960, travaillant pour le Bureau des affaires indiennes, avait pris fait et cause pour les indigènes abusés et décida de s’enraciner dans la réserve de Leech Lake.

Sean J. Rose

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