Généalogie de la critique. Je pense donc je suis... critique. Penser c'est juger. Encore faudrait-il savoir qui pense ? Moi à n'en point douter, puisque depuis Descartes et son fameux cogito, je puis douter de tout sauf de moi-même qui suis cette conscience qui doute. Et par un raisonnement qui me mène, moi être imparfait et fini, vers l'idée d'un être parfait et infini, j'en déduis que, s'il n'est rien que je ne puisse tenir pour sûr tant je suis trompé par mes sens et limité dans mon entendement, ma cause première est Dieu, cette intelligence toute puissante dont je suis une pâle émanation.
Les Lumières remplacent Dieu par la raison. Et Kant d'introduire du relativisme dans cet édifice de la pensée : la « chose en soi », la vérité, est inconnaissable parce que nous sommes formatés par notre façon de raisonner : nous ne connaissons la réalité qu'au prisme des notions d'espace, de temps et de causalité. Si le philosophe de Königsberg fait une critique de la raison, il établira quand même des impératifs fondés sur une loi morale universelle. La modernité inaugure la critique, la vraie ! Avec elle, point de substance infinie, pas plus que de catégories éternelles. La « morale » (la loi du plus fort), les canons esthétiques (le goût des dominants), les règles grammaticales (la langue est fasciste)... tout ça, des entraves à notre aptitude à jouir de notre autonomie de sujet désormais émancipé. On sait avec Nietzsche que Dieu est mort, avec Foucault c'est l'Homme - l'universalisme, cette vision du genre humain qu'imposent ceux qui sont aux manettes de l'Histoire. Ce qui nous est donné a été construit, or pour être réellement critique il faut déconstruire.
La critique est un sport de combat. Elle mettra K.O. les structures qui nous assujettissent. Mais la critique à force de critiquer pourrait bien tourner à vide, comme le dénonçait Bruno Latour dans un essai (non traduit) Why Has Critique Run out of Steam? Cette réflexion a été le point de départ de Superfaible, le nouveau livre de Laurent de Sutter. Une généalogie de la critique, où il exhorte à adopter une posture neuve, où il s'agit d'aller au-delà, voire en deçà, de la critique - une espèce d'« infrastructuralisme » -, et d'abandonner l'idée d'avoir toujours raison. Éteignons la lumière d'une raison qui prétendrait mettre tout à nu. Car sous la structure, que du mouvement, que de la métamorphose ! Pour un « nouvel obscurantisme postcritique » optimiste : agissons même si ce n'est pas clair, même si c'est gris, faisons avec l'énergie punk d'un Nietzsche mais sans volonté de puissance, un Nietzsche sans ego et dans un joyeux bordel !
Superfaible ! Penser au XXIe siècle
Flammarion
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21 € ; 350 p.
ISBN: 9782080431721