Non seulement le Musée d’Art moderne de la ville de Paris décide sans raison juridique valable d’auto-censurer l’exposition des œuvres de Larry Clark en l’interdisant aux moins de 18 ans, mais, comble de la tartufferie, Paris-Musées a courageusement refusé de publier le catalogue, et en a laissé le soin à un éditeur anglais. Il est temps de remettre les choses au point et les réacs incultes à leur place. Pour justifier à la fois l’interdiction de l’exposition aux moins de dix-huit ans ainsi que l’édition du catalogue par un opérateur britannique, les responsables de cette déroute sans combat se réfugient publiquement derrière une pseudo loi de 2007 qui aurait changé la donne juridiquement et « moralement »… Première mise au clair : la loi de 2007 n’a fait qu’autoriser de nouvelles méthodes policières en matière de protection de l’enfance ou aggraver certaines sanctions de délits déjà prévus par le Code pénal. Les articles dudit Code invoqués comme des risques juridiques n’ont pas été dans leur principe changés par la loi de 2007. D’ailleurs, les deux articles brandis par les responsables du musée et des éditions afférentes sont pour l’un, très ancien, pour l’autre, vieux déjà d’une quinzaine d’années. L’outrage aux bonnes mœurs, légiféré dans sa version moderne dans la première moitié du XIXème siècle – et même dans une version antérieure en 1791 - a, depuis 1994 et l’instauration d’un nouveau Code pénal, laissé place à l'article 227-24. L’article 227-24 du Nouveau Code pénal dispose que «  le fait de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, un message à caractère violent ou pornographique, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire le commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement (…) lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur  ».   Peu importe que la majorité sexuelle soit, en France, fixée à quinze ans… Cette rédaction plus qu'imprécise, qui représente une porte ouverte aux censeurs, a été fortement dénoncée par les observateurs attentifs, lors du vote parlementaire.   L'interprétation que peuvent faire les juridictions d'un texte aussi flou et répressif est très large. Les groupes de pression - qui se font fort de défendre la famille ou la religion - l'ont bien compris et n'hésitent de moins en moins à demander aux autorités d'agir, voire à intenter eux-mêmes les procès. C’est ainsi que l’affaire « Présumés innocents », du nom d’une exposition du CAPC de Bordeaux, a démarré il y a une dizaine d’années, sans attendre une pseudo-modification législative de 2007. L’auteur de ce blog en sait quelque chose, pour être le défenseur des deux femmes commissaires d’exposition mises en examen, la procédure étant à l‘heure actuelle devant la Cour de cassation, sans qu’un seul magistrat « du fond » ait eu à statuer sur le supposé message à caractère pornographique (1). Là encore, en revanche, c’est sur le catalogue que se fondent une grande part des poursuites, dans la mesure où la ligue de vertu plaignante n’a saisi la justice qu’après la fermeture aux dates prévues de l’exposition si litigieuse. Par ailleurs, la réprobation toujours plus forte de la pédophilie a, en France, suscité l'adoption de nouvelles dispositions (toujours en 1993, et non en en 2007 !) telles que l'article 227-23 du Nouveau Code pénal, qui prévoit désormais : «  le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image d’un mineur lorsque cette image présente un caractère pornographique est puni (…) d’emprisonnement (…). Le fait de diffuser une telle image, par quelque moyen que ce soit, est puni des mêmes peines. Les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à cinq cent mille francs d’amende lorsqu’il s’agit d’un mineur de quinze ans.  » Interdire une exposition au moins de dix-huit ans en raison de ce second texte de loi n’a pas de sens - si tant est que l’œuvre de Larry Clark rentre dans la catégorie visée -, car le législateur s’est intéressé au seul âge des sujets de l’image et non de son public… L’ouvrir aux adultes est donc tout aussi répréhensible ! Pour résumer, rappelons que les condamnations sur ce fondement sont statistiquement infinitésimales. Si elles se répandaient, mieux vaudrait fermer dans la seconde les salles du Louvre exposant des pénis grecs, de tétons romains, voire les scènes de violence biblique de la galerie des Italiens. Sans compter, parmi tant d’autres, la manifestation « Casanova for ever » qui a été exposée, et éditée, cet été dans tout le Sud de la France. Qu’une institution publique largement solvable décide de s’autocensurer, et de se décharger de l’édition d’un catalogue d’exposition, avant même d’avoir reçu l’ombre de la promesse d’une menace de procès, en dit long sur l’ignorance et la frilosité de certains responsables culturels. Et ne peut que servir les intérêts des bigots qui, demain, invoqueront à loisir contre l’édition privée un si fâcheux précédent.   ___________ (1) Pour lever toute ambiguïté, l’auteur de ces lignes est également élu non encarté du 6 ème arrondissement mais sur les listes de l’actuelle majorité de la Ville.
15.10 2013

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