Les maisons d'édition jeunesse indépendantes croient à l'export et se battent pour dépasser leurs handicaps, grâce notamment à l'appui des ONG.
« La difficulté pour percer à l'étranger est l'absence de contacts directs avec les libraires, explique la directrice des éditions du Ricochet, Natalie Vock-Verley. Le travail du diffuseur est donc essentiel. Au Maroc et au Liban, nos titres se vendent essentiellement grâce aux coups de cœur des établissements scolaires et aux prescriptions. Notre deuxième maison, Tom'poche, a proposé jusqu'à cette année des abonnements aux écoles et nous avions un excellent accueil en francophonie, en particulier au Liban. Cette offre plus scolaire, avec de petits prix, était bien adaptée. » L'export représente environ 10 % du chiffre d'affaires de la maison d'édition. La diffusion au Québec s'est intensifiée depuis 2017, et les ventes sont pour beaucoup dues aux libraires qui suivent la maison de façon globale. Ils sont sensibles à son catalogue, axé sciences, nature, féminisme et sujets de société. Naître fille a été porté au Québec grâce à un prix.
Bien implanté dans cette région grâce à une collaboration avec un libraire- diffuseur, l'éditeur L'Élan vert est également très présent sur les salons belges et communique auprès des enseignants francophones. Ses auteurs sont souvent invités dans les manifestations culturelles au Maroc, mais la maison manque de moyens pour se développer au Vietnam. « De 1999 à 2006, notre maison était énormément tournée vers des partenaires anglais, espagnols, québécois, explique Amélie Léveillé, directrice de L'Élan Vert. Nous avons réalisé plusieurs coéditions et nous avons collaboré avec une société marocaine, La caravane du livre ; cette collaboration a été l'occasion de vendre localement les ouvrages, à un prix adapté. »
La production jeunesse souffre particulièrement des coûts de fabrication trop élevés pour certains pays. Les éditions du Ricochet ont réalisé des cessions de droits avec les éditions Yanbow Al Kitab au Maroc et poursuivent cette piste grâce aux rencontres entre éditeurs francophones organisées par le BIEF au Salon de Montreuil, mais Natalie Vock-Verley avoue avoir du mal à concrétiser. « Il est parfois difficile pour les éditeurs étrangers de trouver des titres dans lesquels ils peuvent se projeter complètement, à cause des différences culturelles ou d'angles éditoriaux inadaptés à leur lectorat. »
Le segment jeunesse se développe beaucoup en Afrique subsaharienne. Il explose en Côte d'Ivoire et au Togo, où les éditeurs locaux souhaiteraient que leurs publications soient diffusées en France. Restent de grosses difficultés pour trouver un réseau de distribution et des coûts de transport exorbitants. « L'économie et la chaîne du livre telles qu'on les connaît n'existent pas dans certains pays », rappelle Dominique Pace, directrice générale de Biblionef. Cette ONG fondée en 1992 diffuse gratuitement des livres dans 115 pays. Son but est double : soutenir l'accès à la culture et incarner la francophonie dans le monde en donnant à lire des ouvrages en langue française. Les éditeurs jeunesse proposent des titres parmi ceux qui ne sont plus destinés au circuit commercial ; le choix est ensuite validé par les partenaires de terrain. « Dans les pays où le pouvoir d'achat se développe, comme les pays baltes ou les pays de l'Est, on espère semer la graine de la langue française chez les plus jeunes, confie Dominique Pace. S'il n'y a plus de demande de livres en français dans les établissements à l'étranger, la langue disparaîtra. »
Biblionef dispose actuellement d'un stock roulant de 280 000 livres et expédie 80 000 à 100 000 livres par an. Au Maroc, où elle a tissé depuis 2017 un partenariat avec la fondation Zakoura pour créer des bibliothèques de langue française dans les écoles, l'ONG vient de signer une convention de cinq ans pour fournir 15 000 livres destinés à 1 000 classes pour la rentrée 2024, et 67 000 livres pour 4 500 classes en 2025. « Cet ensemencement, il faut aussi le cultiver en France dans les territoires éloignés de la lecture », affirme Dominique Pace. Un constat partagé par Jérémy Sanchirico, directeur export chez Usborne, pour qui la politique française du prix unique du livre a ses revers. « Un adulte qui ne lit pas mais peut acheter des livres jeunesse à bon prix va avoir tendance à sauter le pas pour ses enfants. Je suis allé chez Costco récemment à Montréal, et le rayon livres était bondé. Des familles de tout type mettaient un livre dans leur chariot pour leurs enfants. En France, on se targue d'être dans le social, mais que fait-on vraiment pour que la classe prolétaire ait accès au livre ? Dans les pays anglophones, les plus pauvres y ont accès dans les supermarchés ou les chaînes de vente où tout est à £1/$1. C'est notoire dans la littérature jeunesse. »