« Je suis identifiée ainsi : Lacy Johnson : VICTIME. » L'étiquette colle à la peau et aux mots de cette femme qui se bat pour surmonter un drame. Celui-ci nous est révélé dès les premières pages. Un kidnapping, suivi d'une séquestration et d'un viol dans une pièce insonorisée. Et pendant tout ce temps, des menaces de mort. Son bourreau n'est pas un inconnu, il la connaît par cœur. « Il m'appelle skat, un mot danois qui signifie chouchou, chérie, trésor. Il demande si je l'aimerai toujours. » Cet homme, a priori un peu gauche, était son professeur d'espagnol. Elle le rencontre à l'université alors qu'il a 38 ans. Lacy n'est pas aussitôt subjuguée, mais elle subit peu à peu l'emprise de cet individu redoutable. Il lui demande de quitter son boulot au Centre d'optique, elle cède. « Je n'ai pas d'argent, pas d'affaires, pas de toit. Je ferais n'importe quoi pour rester avec lui », ce soi-disant protecteur et mentor qui lui fait tant de torts. Elle partage la vie de son futur ravisseur durant plus de deux ans. « Pendant toute notre vie commune, il n'appelait pas ça viol, mais sexe. » La jeune fille pense que ça fait partie de leur contrat conjugal, mais elle réalise un jour qu'il est temps de couper ce cordon empoisonné. Un acte impardonnable aux yeux de l'intéressé. Sa vengeance laisse une trace atroce, une dizaine d'années après les faits. Lacy - qui n'a pas hésité à porter plainte - a choisi de ne pas se lamenter et de raconter cet événement traumatisant, écrit comme un polar véridique, déstabilisant et glaçant. On y assiste impuissant à son calvaire physique et psychologique. « Tout ce que je vois, c'est l'instant de ma mort, tout près. » Autre phénomène courant : la dissociation mentale. Lacy tente ici de recoller les morceaux de son âme morcelée. « Le corps se souvient indépendamment de l'esprit. Il se débat encore pour s'éloigner du corps. Il est en train de se décomposer et n'a cessé depuis de se décomposer. » Longtemps, elle ne s'exprime pas. « Pas par manque de mémoire, mais de mots. » Ils vont venir à elle par la littérature et la non-fiction, qu'elle enseigne désormais.Lacy a appris la débrouille dès son plus jeune âge. Après une brouille avec ses parents, cette rebelle engagée a poursuivi son chemin inscrit dans la violence et la renaissance. Malgré son air angélique, on est d'emblée frappé par son regard déterminé. Celui d'une survivante qui s'accroche aux hommes, à l'amour ou à la maternité pour ne pas tituber, mais cette route a failli la tuer. « Je suis à la fois vivante et morte. » Dans la préface, la professeure de littérature anglaise, Alex Marzano-Lesnevich, admire « son courage, sa férocité, la clarté de sa vision » parfois impitoyable envers elle-même. Lacy M. Johnson avoue qu'elle habite « une prison [qu'elle a] bâtie avec cette histoire. Je ne sais pas comment y échapper. L'histoire est un piège, une énigme, un paradoxe. La terminer, c'est créer une porte. » En anglais, ce livre s'intitule The Other Side, l'autre côté. Celui où cette Alice de chair et de papier nous entraîne, avant de réussir sa dure traversée vers la vie.
Je ne suis pas encore morte Traduit de l’américain par Héloïse Esquié
Sonatine
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 20 € ; 288 p.
ISBN: 9782355848346