On l’avait découvert en 2012, sous le nom complet de ses deux parents, Paul Guilbert, journaliste politique et écrivain, décédé, et Marie (autrefois Raphaële) Billetdoux, revenue à la littérature après un long silence. Le jeune Augustin, né en 1986, avait commis, en guise de premier roman, Le messie du peuple chauve (Gallimard), une parabole déjantée et remarquée. Le voici, sous le seul nom de Billetdoux, qui tente le cap du deuxième roman, redouté, mais réussi. Si Les joueuses est moins foutraque que Le messie, on y retrouve la même fantaisie, le même humour frondeur, la même gravité qui se dissimule derrière une intrigue légère en apparence.
A l’origine, il s’agit d’un amour (en tout bien tout honneur) entre deux jeunes filles, Lou et Zoé, apprenties comédiennes. La première éclate et fascine, la seconde raconte. Tout en courant le cachet pour payer leur loyer, elles suivent avec passion les cours de théâtre de Monsieur Georges. C’est là qu’elles rencontrent un jour Thaïs, un metteur en scène brésilien qui dirige la compagnie Teatro da Vertigem, à Salvador de Bahia. Introverti, mystérieux, « asexuel » quoique séduisant, il n’aura pas de mal à convaincre les filles de venir le rejoindre au Brésil.
Voici donc Lou et Zoé découvrant une culture puissante, avec ses alcools forts, et surtout le candomblé, culte vaudou auquel Thaïs s’est voué. Elles tombent amoureuses toutes deux du jeune homme. Mais on va finir par découvrir que la réalité des relations au sein de leur trio est tout entière commandée par les dieux orishas, Exu, Oxum, Oshumaré, Xango et les autres, à qui les amies ont été initiées.
A tout moment, le lecteur sent que l’histoire peut basculer vers la tragédie, tant les personnages sont portés par des forces qui les dépassent, surtout Lou, plus manipulatrice mais aussi plus fragile que son amie Zoé, la narratrice. Laquelle écrira cette aventure deux ans plus tard, rentrée à Paris et devenue comédienne, comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre. Oralité du style, vivacité voire crudité du vocabulaire, abondance de dialogues et de monologues, rythme enlevé, concourent à la qualité et à l’originalité de ce roman. Augustin Billetdoux fait preuve de talent avec une maîtrise de l’écriture assez rare à son âge. J.-C. P.