Coût du logement exorbitant, niveau de vie trop élevé, les populations les plus précaires sont éjectées des grandes villes vers la périphérie ; tels les lépreux de jadis, les pauvres se retrouvent comme en quarantaine, ghettoïsés, toujours plus loin du centre, au fur et à mesure que la mégalopole croît et avale les zones populaires et les régurgite, rénovées, en quartiers « gentrifiés », bobos à souhait. D'aucuns résistent dans des poches obscures, interstices d'indigence que cache la forêt des buildings rutilants du district des affaires...
A Favelada, la gigantesque cité imaginée par l'Anglo-Nigérian J. J. Amaworo Wilson dans son premier roman Les dévastés, ces parias ont élu demeure en hauteur, ils habitent dans un gratte-ciel de soixante étages abandonné, la Tour des Torres, du même nom que ces frères qui ne l'entendent pas de cette oreille. L'avide fratrie a pour ambition l'éradication de la pauvreté. Et pour ce faire, quoi de mieux que de traiter le mal par la racine, à savoir, la liquidation des pauvres eux-mêmes ? Aux frères Torres répondent, en positif, les frères Nacho et Emil Morales, qui protègent les déshérités. Nacho, l'intello boiteux, et Emil, le brave praticien. J. J. Amaworo Wilson qui joue sur le registre épique et de l'ironie postmoderne, campe des personnages hauts en couleur, à forte valeur symbolique. Dans cette épopée ultra-urbaine s'affrontent clairement le Bien et le Mal, sur fond d'ambiance SF avec chien à trois têtes façon Cerbère et autres monstres clonés.
Les 600 « dévastés » fuyant le déluge qui manque de les engloutir sont guidés par Nacho, véritable Moïse 2.0, lettré, polyglotte, grand lecteur de mythes : c'est un reboot de l'épisode des Hébreux libérés du Pharaon et conduits par Moïse à travers les eaux. Guerre urbaine, autorités pourries, armée de libellules comme autant de « plaies d'Egypte », la fresque est traversée d'un souffle surréaliste. L'auteur s'inspire aussi de la littérature feuilletoniste et annonce en tête de chapitre, tel un teaser, les rebondissements qu'on s'apprête à lire : « Robe rouge - la passion de Maria - la Seconde Guerre des ordures et l'histoire de Naboo Lallo », ou encore « Rumeurs persistantes d'une attaque - Nacho et Emil discutent des options - L'indifférence de Maria - Conversations avec des hommes d'Etat - Grabuge ». Du picaresque déjanté dont on espère que, comme dans un Dickens, ça se terminera bien quand même.
Les dévastés - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Camille Nivelle
Éditions de l’Observatoire
Tirage: 5 500 ex.
Prix: 22 euros ; 416 p.
ISBN: 9791032903308