La semaine qui ébranla l’édition religieuse

Le soir du 7 janvier 2015, après l’attentat contre Charlie Hebdo, des milliers de personnes se rassemblèrent place de la République. - Photo Olivier Dion

La semaine qui ébranla l’édition religieuse

Les assassinats et prises d’otages survenus le 7 janvier à Paris, à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, ont eu un impact fort sur une partie de la production de l’édition religieuse et suscité plusieurs initiatives des éditeurs.

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Par Anne Ducrocq
avec Créé le 15.04.2015 à 21h00 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Seule une transmission intelligente de la connaissance au plus grand nombre pourra éloigner durablement le spectre de la haine, des amalgames simplistes et de la barbarie. A côté des nécessaires actions dans les domaines politique et social, il revient aux savants, aux écrivains, aux spirituels… et à leurs éditeurs d’offrir à tous cette connaissance." C’est dans cet esprit que Jean Mouttapa, directeur du département Spiritualités d’Albin Michel, a réalisé un mini-catalogue de 24 pages,"Islam, d’autres visages", tiré à 50 000 exemplaires, distribué au Salon du livre de Paris, envoyé à la presse, aux bibliothèques et aux librairies par paquets de 20. De fait, les assassinats et prises d’otages survenus le 7 janvier à Paris, à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, ont eu un fort impact sur l’édition spécialisée et sur ses ventes.

"A côté des nécessaires actions dans les domaines politique et social, il revient aux savants, aux écrivains, aux spirituels… et à leurs éditeurs d’offrir à tous cette connaissance."Jean Mouttapa, Albin Michel- Photo OLIVIER DION

L’intérêt pour l’islam ne date pas du mois de janvier. Chez First, par exemple, les ventes de L’islam pour les nuls s’établissent à 35 000 exemplaires, et celles du Coran pour les nuls à 13 500. En 2014, le nombre de titres traitant de l’islam a bondi de 22 %, à 122 nouveautés et nouvelles éditions, d’après nos données Livres Hebdo-Electre. Mais, après les événements, l’éditeur Albouraq, éditeur et distributeur de l’islam de France, a vu ses ventes de corans augmenter de 30 %. Mansour Mansour, directeur d’Albouraq, qui distribue 10 éditeurs arabo-musulmans, estime que les jeunes musulmans d’aujourd’hui n’ont pas une religion de conviction mais une pratique "naïve", nourrie par les informations, des valeurs transmises par les parents et non interrogées, non réfléchies. Ce que décrit parfaitement, selon lui, Pourquoi j’ai cessé d’être un islamiste : itinéraire au cœur de l’islam en France de Farid Abdelkrim (éditions Les Points sur les i). Mansour Mansour, à la fois Français et musulman, a donc accéléré le lancement de deux collections, "Je veux comprendre" et "Je veux savoir", des ouvrages écrits par des spécialistes musulmans, pour dresser des passerelles entre judaïsme et islam, France et islam, et mieux faire connaître les grands personnages et les messages de l’islam. Un travail de fourmi, de longue haleine et d’utilité publique.

Des initiatives sont aussi en préparation chez d’autres éditeurs. Au Seuil, le tandem Gérard Mordillat-Jérôme Prieur publiera Jésus et l’islam en novembre, en parallèle à la diffusion d’une série documentaire sur Arte. Chez Albin Michel, pour la première fois de sa carrière, Jean Mouttapa a mis un livre en cinq semaines en librairie : Plaidoyer pour la fraternité d’Abdennour Bidar (25 500 exemplaires). Sa "Lettre ouverte au monde musulman" a d’abord été publiée dans Marianne et lue par 2 millions d’internautes (sites de Marianne, Huffington Post, Mediapart…) avant de paraître aux Liens qui libèrent (1er avril ). Qu’Allah bénisse la France d’Abd Al Malik, réédité fin 2014 à l’occasion de son adaptation cinématographique, en est à 29 000 exemplaires, sans compter les 15 000 initialement vendus en grand format et les 53 000 de la précédente édition en poche. Le rappeur vient aussi de publier chez Indigène un plaidoyer de 32 pages pour que l’islam ne soit plus source de malentendus, Place de la République : pour une spiritualité laïque. Le 1er tirage de 40 000 exemplaires a été suivi d’une réimpression à 15 000.

Si l’islam ne fait pas vendre, un nombre remarquable de livres tirent néanmoins leur épingle du jeu. Reza Aslan, historien des religions qui se nourrit personnellement des cultures chrétiennes et musulmanes, a vendu l’an dernier 12 000 exemplaires du Zélote (Les Arènes). Il a lancé en mars Le miséricordieux qui tombe à point nommé en rappelant la véritable histoire de Mahomet et de l’islam. Au Seuil, le fonds a été remis en vente avec un bon de commande spécial pour les libraires, et les résultats sont au rendez-vous. Le Coran expliqué aux jeunes de Rachid Benzine (14 000 exemplaires depuis janvier 2013) est encore sorti à 2 500 exemplaires entre janvier et février.

"Un livre c’est un cœur-à-cœur, pas de la communication de masse. On peut y faire passer autre chose que des slogans. Notre société crève sous les slogans, estime Bruno Nougayrède, le P-DG d’Artège. Notre contribution à l’esprit du 7 janvier, c’est de faire des livres de fond qui vont éclairer les gens plutôt que d’alimenter des débats."

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