6 février > Roman France

Une petite fille regarde son père se raser. Une autre (la même ?), la page suivante, rédige sa première lettre, «Cher papa, je t’embrasse». Jeux est un livre original qui ne se raconte pas : une suite de saynètes de quelques lignes, affûtées à l’extrême, étranges, rudes, burlesques parfois, dérangeantes souvent. Le sujet ? Les relations entre les adultes et les enfants, les hommes et les femmes, les professeurs et leurs élèves : le commerce des corps, la dynamique des fluides. Tout y est sexué, sexuel. Le cadre ? Le plus souvent un square entouré d’immeubles, un jardin public, les rues autour et les wagons d’un tram circulaire… A l’intérieur de ce dehors familier et quotidien se tiennent les représentations dont Dominique de Rivaz, romancière suisse à l’inspiration rude et au style lapidaire - Rose Envy (Zoé, 2012), La poussette (Buchet-Chastel, 2011) - assure la mise en scène, d’un petit théâtre où les personnages sont alternativement acteur et spectateur, exhibitionniste et voyeur. Dans la plupart de ces tableaux se joue une sexualité explicite mais jamais vulgairement crue. Celle des adultes, parfois abusive, dont sont victimes les enfants, mais aussi, plus troublante, celle des enfants, aussi ambiguë, aussi primitive, aussi jouissive, aussi cruelle, aussi innocente et aussi perverse que celle des grands. Ce sont des frères et sœurs qui «jouent à s’embrasser». C’est la fillette qui devant les photos de femmes nues à la vitrine d’un cabaret commente : «ces dames/ça me chatouille. Derrière les oreilles». C’est une Barbie nue fouettée tête en bas avec un collier de perles. Des jouets et des animaux de compagnie libidineusement investis…

Dominique de Rivaz qui est d’abord une femme d’images (elle est cinéaste et photographe) radicalise ici plus encore la forme déjà très ramassée de ces livres précédents. Elle rabote ses phrases, les densifie en les asséchant. Cherchant comme la fillette «très gênée, tête basse» de la première et de la dernière scène, parmi les crayons «la couleur juste» pour dessiner «le monsieur». L’écrivaine trouve dans cette épure une indéniable force d’évocation et certaines sentences, clignotant seules au milieu d’une page, impriment pour longtemps leur message énigmatique : «En cas de gel, la traversée du square est à vos risques et périls.» V. R.

 

 

17.01 2014

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