Louis Althusser (1918-1990) fut ce qu’on appelle un grand prof. Agrégé-préparateur - « caïman » - de philosophie à Normale sup, spécialiste de Marx, communiste, il a exercé une influence importante dans l’intelligentsia française des années 1960-1970. En 1980, l’année où il étrangle sa femme Hélène lors d’une crise de délire, il se lance dans le projet de rédiger un manuel accessible au plus grand nombre. « Ce petit livre s’adresse à tous les lecteurs qui se considèrent, à tort ou à raison, comme des “non-philosophes? et qui veulent pourtant se faire une idée de la philosophie. »

Restée jusqu’alors inédite, cette Initiation à la philosophie pour les non-philosophes est moins abordable que le titre ne le laisse supposer. Il est certes bien question d’initiation, mais l’initiateur se nomme Louis Althusser. Et la pensée qu’il souhaite introduire n’est autre que la sienne. Une manière d’envisager « la philosophie comme continuation de la politique par d’autres moyens », selon Guillaume Sibertin-Blanc dans sa préface.

Cet étonnant document, établi et annoté par G. M. Goshgarian, nous ramène quelques décennies en arrière, à un moment où le marxisme et sa dialectique dominaient les esprits. On y retrouve des termes que l’on n’emploie plus comme « prolétaire » ou « lutte des classes ». Mais l’essentiel est ailleurs. Il est dans la formidable capacité de synthèse de l’auteur.

La première partie sur le sens de la philosophie est tout simplement lumineuse. Althusser explique à quoi sert la philosophie et à qui elle devrait être destinée. Après avoir été la servante de la théologie, la philosophie doit aider la révolution. Radical, certes. Pour Althusser, « tout homme est philosophe ». Il lui appartient de choisir entre la vision idéaliste et la vision matérialiste.

Ainsi, sur la question des origines, il a une réponse concrète. « Quand on demande : “pourquoi y a- t-il quelque chose plutôt rien ??, on ne s’avise pas que, s’il n’y avait pas “quelque chose? (de l’être), personne ne serait là pour poser la question du néant, que la question du néant est donc une feinte qui fait semblant de croire que l’être pourrait ne pas être - alors qu’on n’a pas le choix ! »

Selon Althusser, la philosophie des philosophes est née de la géométrie, par obligation de nommer des abstractions, avec « l’idée d’objets purs auxquels on peut appliquer un raisonnement pur ». Il réfute évidemment cette fonction et il démontre dans la plus grande partie de ce texte pourquoi la philosophie devrait être au service de la révolution et non plus « chargée de ravauder la déchirure provoquée par la science dans le tissu de l’idéologie dominante ».

Au passage, on glanera quelques fulgurances, telle celle qui voit le psychanalyste comme « l’agent silencieux d’un procès sans sujet ». Oui, Althusser fut un grand prof. Ce cours très particulier le prouve amplement.

Laurent Lemire