La femme et les champignons est un récit de voyage. Ou plutôt le récit de deux voyages parallèles, un subi et un volontaire, étonnamment et intimement liés : un périple dans « les contrées du deuil » et une exploration du royaume des champignons. La restitution d'un patient travail de terrain dans les deux cas pour Long Litt Woon.
Cette anthropologue d'origine malaisienne a perdu subitement son mari, Eiolf, un Norvégien qu'elle avait rencontré peu après son arrivée dans le pays dans le cadre d'un échange étudiant, et avec qui elle partageait sa vie depuis de nombreuses années. L'endeuillée raconte dans cet essai entre journal intime et traité naturaliste (photos à l'appui), original, émouvant et passionnant, comment elle a retrouvé goût à la vie en se plongeant dans le monde des champignons.
Veuve, devenue « vagabonde involontaire dans un pays inconnu », elle commence par s'inscrire à des cours dispensés par « l'association d'Oslo et de ses environs pour les champignons et les plantes utiles ». Et va devenir rapidement experte. Rien de surprenant quand on voit quel élan et quelle application elle met dans cet apprentissage. Elle veut tout savoir de cette planète complexe. « Les champignons ne font partie ni du règne animal ni du règne végétal, ils sont un règne à part entière. Le règne des Fungi », découvre-t-elle. Tout y passe - les cueillir, les identifier, les cuisiner car « les champignons sont une nourriture aussi terrestre que spirituelle ». Avec un enthousiasme concret et une proximité légèrement distanciée, elle observe les mœurs de cette drôle de secte des amateurs chevronnés, détaille toutes les subtiles nuances des espèces, du comestible au très vénéneux, interroge la relativité parfois culturelle des classifications et des goûts (quid de la fameuse odeur de « farine mouillée » du Clitopilus prunulus aussi appelé meunier ?), se fait sociologue des mycophiles et des mycophobes, enquête sur les effets psychotropes du psilocybe fer de lance, classé dans la catégorie des stupéfiants, dont personne ne veut lui parler.
Parmi la masse d'informations recueillies, on apprend encore qu'il y a 400 espèces de champignons dont cinq girolles recensées par la New York Mycological Society dans... Central Park. Que le musicien John Cage est « un ramasseur de champignons acharné ». Et, puisque la première motivation pour s'intéresser aux champignons est d'aimer les manger, Long Litt Woon nous offre aussi quelques recettes comme cette surprenante « Glace abricot girolle parsemée de girolle confite ».
Avec simplicité s'immisce le voyage intérieur dans le labyrinthe du deuil. L'hommage au compagnon disparu et les souvenirs de leur couple prennent très naturellement place entre les conseils pratiques de la spécialiste, à la fois de bon sens et scientifiques, toujours rétifs aux préjugés, aux côtés d'un éloge sans mièvrerie de la cueillette et de la promenade en forêt. Ainsi accrochée à cette inattendue « bouée de sauvetage », puis les sens peu à peu réveillés par son initiation, Long Litt Woon livre, en plus d'un précis de mycologie, une petite leçon de sagesse. A vos paniers !
La femme et les champignons : une histoire de deuil et de retour à la vie - Traduit du norvégien par Alex Fouillet
Gaïa
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22 euros ; 304 p.
ISBN: 9782847208818